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Enluminures en terre d’Islam
Entre abstraction et figuration
A l’occasion de la numérisation de ses manuscrits islamiques, la Bibliothèque de France présente un ensemble de quatre-vingt pièces, parmi les plus belles, arabes, persanes et turques.
D’emblée avec les Corans exposés dans la première section se pose la question de la figuration en terre d’Islam. L’art islamique, c’est bien connu, se caractérise par son refus de la représentation de la nature et des êtres. Et le Coran, sans pour cela consacrer un texte précis au sujet, reprend à plusieurs reprises le vieil interdit biblique : « Tu ne feras point d’image taillée ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre et qui sont dans les eaux plus bas que la terre. » Ceci dans le double souci de ne pas sombrer dans l’idolâtrie – Mahomet eut à lutter contre le culte des idoles pour imposer l’Islam - et aussi de ne pas se mesurer à un dieu créateur et maître de toutes choses. On ne s’étonnera donc pas que les manuscrits religieux soient strictement aniconiques. Pour leur décor, tout l’art du miniaturiste va se réfugier dans la subtilité et l’infinie variété de l’entrelac et de l’arabesque comme en témoignent ici quelques corans : celui, réalisé en Espagne en 1304, évoquant le décor géométrique de la céramique et des reliefs sur les murs des mosquées et des palais ou encore le recueil iranien daté de 1310 de Rachid as Din dont l’inspiration est à chercher du côté des tapis orientaux. Mais la véritable beauté de ces écrits religieux se trouve dans la matière même de ce qui fait le livre, dans la calligraphie. Cet art attint en Islam des sommets rarement dépassés dans d’autres civilisations. On remarquera la superbe page en caractères coufiques de ce coran du VIIIe-IXe siècle qui, malgré ses dimensions restreintes, est d’une grande monumentalité. Le scribe a magnifiquement utilisé les possibilités du calame (pointe taillée dans un roseau) pour créer des caractères anguleux dont il exagère les proportions en étirant les horizontales. Il compose ainsi une page équilibrée qui devient une œuvre en soi en dehors du caractère sacré du texte.
Mais, bien évidemment une interdiction aussi stricte – il faut, cependant, rappeler cette exception majeure que sont les portiques de la mosquée des Omeyades à Damas : ils s’ornent de mosaïques reproduisant des paysages de palais et de jardins - ne saurait s’appliquer à l’ensemble du livre islamique lequel ne se limite pas aux simples matières religieuses. Livres scientifiques, philosophiques, littéraires... La civilisation de l’Islam connaît dans ses premiers siècles un développement extraordinaire. On sait le rôle de passeur joué par les scribes musulmans dans la transmission à l’Occident d’une bonne partie de l’héritage antique ; on connaît moins l’apport des Savants dans le domaine scientifique. Ce sont, exemple choisi parmi tant d’autres, les mathématiciens arabes qui inventèrent le zéro, permettant le développement ultérieur des sciences. Dans le domaine de la littérature propre on trouve la poésie, les récits picaresques voire salaces, les romans épiques, les romans d’amour, tous ici présents. Ces textes qu’ils soient sérieux ou simplement distrayants appellent l’illustration.
Les miniature arabes paraissent plus grossières si on les compare celles dont les Perses ornent leurs manuscrits. Mais elles sont si vivantes, si animées que ceci rattrape largement cela. Il faut feuilleter, que l’on se rassure de manière virtuelle, les très belles Maqâmât d’Al-Harîrî datées de 1337. L’ouvrage, véritable roman picaresque avant la lettre, raconte les aventures d’un filou qui, lors d’un pèlerinage à La Mecque, escroque un peu tout le monde. Les scènes pleines vie relatent les différents épisodes de ce périple dont le moins que l’on puisse dire est qu’il prend les choses de la religion avec une certaine distance. La représentation de la traversée de la mer rouge, la caravane, la halte dans le caravansérail tous ces épisodes sont illustrés en vignettes vives et expressives – célébrissimes, elles sont reproduites dans tous les ouvrages sur la peinture arabe. Tout aussi vivant est Kalila wa Dimna (Egypte ou Syrie milieu du XIVe siècle) un recueil de fables recueillies en Inde. Certaines d’entre elles inspireront notre La Fontaine. Ici le livre est ouvert à l’histoire du lapin qui vainquit son ennemi le Lion par ruse en le faisant tomber dans une fosse remplie d’eau. On ne peut que sourire.
Mais que l’on ne se trompe pas, il y eut quand même des rigoristes pour s’offusquer, même pour ce type d’ouvrage distractif. Un exemple exposé plus loin montre que l’un des possesseurs du manuscrit effaça les visages des personnages. Tartufe est un personnage universel…
Malgré l’éclat et le raffinement de leurs couleurs, la subtilité de leur construction, les manuscrits persans paraîtront plus statiques même quand ils représentent des batailles ou des scènes de chasse. C’est un art strictement codé où l’organisation de l’espace, la représentation humaines, la gestuelle sont rigoureusement définies (voir, un regard, une image). Les deux illustrations du Shanameh de Ferdowsi sont éclairantes (un siècle les séparent mais pour le profane, elles paraissent contemporaines). L’horizon est arbitrairement disposé très haut pour que la scène puisse aisément se développer, un peu comme pour une vue panoramique européenne. Les personnages, ainsi étagés, se détachent bien sur le fond ce qui rend l’action parfaitement claire. C’est un art intellectualisé où arbres, rochers, palais se transforment en accessoires. Malgré cela, le charme exquis de ces images, leur coloris a depuis longtemps séduit les amateurs occidentaux comme orientaux par leur coloris subtils, les lignes élégantes pour représenter êtres et choses…
Gilles Coÿne
1 – Coran VIIIe-IXe siècle © BnF
2 – Kalima wa Dimna égypte ou Syrie mileu du XIVe siècle © BnF
3 – Ferdowsi Shahnameh Chiraz 1444 © BnF
Enluminures en terre d’Islam
Entre abstraction et figuration
Jusqu’au 25 septembre
BnF – Richelieu
5, rue Vivienne, Paris 002
Internet : www.bnf.fr
Horaires : du mardi au samedi 10h-19h ; dimanche 12h-19h, fermé le lundi et les jours fériés
Visites guidées : renseignements et réservations 01 53 79 49 49.
Publication : Annie Vernay-Nouri : Enluminures en terre d’Islam, entre abstraction et figuration.- Paris, 2011, BnF, 96 p., 70 illustrations couleur, 23€.