Expositions
Poussin et Moïse
La galerie des Beaux-Arts de Bordeaux expose l'intégralité de la tenture de l'Histoire de Moïse tissée aux Gobelins. Cette superbe série, exécutée en laine, soie et or, développe en dix panneaux, tirés de huit tableaux de Nicolas Poussin et de deux autres du premier peintre du Roi, Le Brun, le récit tel qu'il est retracé par la bible.
En 1683, Louvois reprend le charge de surintendant des Bâtiments du Roi que Colbert avait assurée jusqu'à sa mort. Cette commande faite aux ateliers des Gobelins est un des premiers gestes du nouveau surintendant qui ainsi propose un infléchissement à la politique de la manufacture. Il s'agit dans le cas présent de diffuser et de mettre en valeur la création d'un peintre français qui était considéré comme le plus grand artiste de l'époque et l'honneur de l'école française, bien qu'il ait passé le plus clair de son existence à Rome.
La tapisserie, art somptuaire s'il en fut, était faite pour être exposée dans des lieux prestigieux où passent la foule des sujets, courtisans, quémandeurs de toute sorte : les palais du prince, les églises et les cathédrales... Cadeaux diplomatiques aussi, ces oeuvres devaient orner les demeures des souverains étrangers et assurer la diffusion au-delà des frontières d'un art qui se prétendait le premier en Europe.
Trois tableaux du maître sont exposés ici et sont confrontés à leur interprétation tissée, trois dessins de même évoquent, plus qu'ils ne décrivent, le processus créateur d'un artiste qui ne laissait rien au hasard ; la série des tapisseries au complet se développe sur les cimaises ainsi que, au sous-sol, la collection de gravures destinée à vulgariser et à mettre à la portée du plus grand nombre cet ensemble cohérent.
Moïse exposé sur les eaux
Moïse sauvé des eaux
Moïse, enfant foulant aux pieds la couronne de Pharaon
Le Buisson ardant (Le Brun)
Moïse changeant en serpent la verge d'Aaron
Le Passage de la mer rouge
La Manne dans le désert
Le frappement du rocher
L'Adoration du veau d'Or
Le Serpent d'airain (Le Brun)
Le choix des épisodes peut surprendre. Pourquoi illustrer un thème peu connu comme Moïse, enfant, foulant aux pieds la couronne de Pharaon? Pourquoi faire l'impasse sur les dix plaies imposées à Pharaon et à son peuple? Alors qu'est seulement évoquée l'ultime épreuve du souverain, l'engloutissement de son armée, au second plan du Passage de la mer rouge. La pâque, pas plus que la remise des tables de la Loi, événements capitaux pour les Juifs comme plus tard pour les Chrétiens, ne font l'objet d'une composition. En fait, la série met l'accent sur la sollicitude de Yaveh envers Moïse et les Israélites en dépit de leurs fautes et de leurs infidélités et repose essentiellement sur le choix du peintre et de son cercle d'intellectuels romains.
Au milieu d'une production relatant les événements de l'ancien et du nouveau testament, les actions d'éclats des Saints et des Pères de l'église, l'ensemble de tableaux consacrés à l'histoire de Moïse forme un bloc important par son nombre comme par sa qualité ; une vingtaines de pièces soit près de 10% de l'ensemble de l'oeuvre peint documenté du maître, c'est le signe de son intérêt. L'intention apologétique de ces toiles consacrées à l'homme qui a transmis aux Juifs puis aux différentes sensibilités chrétiennes, le Décalogue est évidente de la part de Nicolas Poussin ; en revanche, quelques vingt ans après sa mort, on peut se demander si le commanditaire de l'ensemble tissé, Louvois le mauvais génie de Louis XIV l'inspirateur et l'ordonnateur de la faute majeure du règne, la Révocation de l'édit de Nantes deux ans plus tard (1685), obéissait à des considérations aussi élevées : en représentant la vie d'un élu de Dieu qui le conduit pas à pas, ne s'agissait-il de faire le rapprochement avec un Louis XIV, champion de l'orthodoxie à un tournant du règne où les folies de jeunesse sont occultées au profit d'un retour à l'ordre ? Et de justifier la répression de l'hérésie que le royaume mène impitoyablement ? Évidemment il est difficile d'établir un lien direct mais ces dix tapisseries témoignent d'un état d'esprit.
Poussin peignait essentiellement pour un public restreint d'amateurs et de collectionneurs raffinés des tableaux de proportions modestes pour leurs cabinets. Il fallut donc faire appel à des artistes des Gobelins pour copier les compositions et les agrandir aux dimensions des cartons sur lesquels travaillaient les lissiers (les 92cm sur 128cm pour Moïse piétinant la couronne de Pharaon, deviennent 3m65 sur 5m90 en tapisserie). Un grand fragment de l'Adoration du veau d'or dû à Pierre de Sève exposé au premier étage montre ce à partir de quoi les ouvriers opéraient.
La logique de la peinture et celle de la tapisseries ne se recouvrant pas, les artistes devaient se montrer inventifs et dépasser le simple travail de copiste. Il leur fallait adapter le modèle et trouver des solutions équivalentes : tantôt ils rajoutent des personnages, tantôt ils aèrent les groupes de protagonistes, ils modifient parfois les accessoires et le décor : Les drapés, par exemple, unis chez Poussin se transforment en lourdes tapisseries aux plis épais, un sobre décor architectural de pierre devient un luxueux agencement de marbres, comme il est d'usage à Versailles, un fond sombre qui formerait un trou noir est remplacé par un clair paysage etc. Le visiteur pourra multiplier les observations. Et s'il regarde de près les gravures, il notera que les graveurs sont encore plus désinvoltes : le décor de Moïse foulant aux pied la couronne de Pharaon n'a rien à voir avec l'original. Enfin il remarquera que certains interprètes se sont révélés plus habiles que d'autres. Si le travail de Stella est irréprochable. Que dire de François Bonnemer, beaucoup moins habile? Ses drapés sont maladroits et ses visages grossiers.
Ainsi le visiteur rentre un peu dans l'intimité et dans le secret des Gobelins ce lieu un peu magique, un peu mythique et ce n'est pas l'un des moindres charmes de cette belle manifestation.
Gilles Coÿne
1 et 2 - Moïse sauvé des eaux, ensemble et détail. Collection du Mobilier national, cliché Mobilier national © I. Rideau
3 et 4 – Moïse, enfant, foulant aux pieds la couronne de Pharaon, détail du fond. Collection du Mobilier national © I. Rideau, © Musée du Louvre
Poussin et Moïse
Du dessin à la tapisserie
30 juin – 26 septembre 2011
Galerie des Beaux-Arts
Place du Colonel Raynal
33000 Bordeaux
Tél. : 05 56 96 51 60
Fax : 05 56 10 25 13
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Horaires : tous les jours sauf mardis et jours fériés de 11h à 18h
Tarifs : 5€ et 2,5€
Publication : Catalogue, 220p., env. 70 illustrations en couleurs et en noir et blanc.