Expositions
Carpeaux (1827 -1875), un sculpteur pour l'Empire
« Refléter le souffle vital » telle était la première et la plus importante qualité que les Chinois reconnaissaient à un peintre, à un artiste, nous rapporte Peter C. Swann dans son histoire de la peinture chinoise. Rien ne saurait mieux qualifier l'art de Jean-Baptiste Carpeaux (1827 – 1875) dont la courte carrière illumine la sculpture du Second Empire. Le musée d'Orsay qui, avec le musée des Beaux-Arts de Valenciennes, conserve l'essentiel de son œuvre rend un hommage exhaustif à cet artiste protéiforme en exposant, outre ses principales sculptures, un ensemble de peintures qui méritent plus qu'un regard de curiosité et, enfin, ses dessins, esquisses en terre cuite ou en plâtre témoins d'un travail acharné et fiévreux.
Le « souffle vital » irrigue toute une œuvre placée sous le signe de la spontanéité et de la recherche du moment. Que ce soient les plus austères bustes de messieurs très sérieux, ceux plus séduisants de dames qui l'étaient beaucoup moins, les sculptures qui firent scandale – la fameuse Danse de l'Opéra -, les effigies charmantes du Prince impérial, toutes possèdent ce « je ne sais quoi » unique qui traduit la palpitation de la vie. On retrouve le même élan vital dans ses peintures, plus esquisses que tableaux achevés, où il zèbre la toile de touches vigoureuses qui se croisent en un maelström furieux ; il est parfois difficile d'en cerner les silhouettes ou le sujet, mais on ne peut qu'être emporté par des compositions d'un modernisme étonnant.
C'était un être passionné, entier, rebelle, tout dévoué à son art. Un caractère difficile et ombrageux, qui ruina un mariage pourtant d'inclination ce qui n'était pas courant à l'époque, et l'opposa souvent à ses commanditaires. Déjà, pour les dernières années de son séjour à la villa Médicis, séjour orageux car il avait beaucoup de mal à se plier à la discipline de l'institution, il propose comme sujet pour son dernier envoi de quatrième année la tragique histoire d'Ugolin et de ses enfants, histoire que Dante raconte dans son Enfer de la Divine Comédie. Ugolino da Gherardesca tyran de Pise, est enfermé et muré avec ses enfants et petits enfants dans une tour par son ennemi juré, l'archevêque de la ville, condamné à y mourir de faim. Il dévorera les uns et les autres « pour, selon l'humoriste Christophe, leur conserver un père ». L'œuvre construite sur un pyramide que domine la figure du tyran qu'enlacent la ronde de ses enfants à la base, comporte de nombreux personnages. Trop, car selon le règlement de l'Académie, cet envoi n'aurait du comporter que deux figures au plus. En dépit des objections, Carpeaux s'entête et travaille d'arrache-pied à son projet. Le groupe, superbe qui marie le tragique de Dante à la terribilità de Michel-Ange – auquel il vouait un véritable culte - fut assez fraîchement accueilli par la critique parisienne. Mais rapidement les mérites de l'œuvre s'imposèrent à tous : On a beaucoup admiré le dos musculeux du tyran digne du Jour dans la chapelle Médicis, sa face tourmentée inspirée de celle des damnés du Jugement dernier, l'enlacement expressif des enfants. L'administration affecta cependant une subvention bien trop faible pour l'exécution d'une version définitive en marbre. Carpeaux se vit obligé d'en tirer un bronze que conserve Orsay.
Même difficultés relationnelles pour la décoration du pavillon de Flore aux Tuileries. S'insurgeant contre la soumission de la sculpture à l'architecture, il propose un riche ensemble d'une exubérance baroque et de ce fait entre en conflit avec Lefuel l'architecte du bâtiment. Ce dernier jugeait, entre autres, que le relief du groupe de Flore bien trop accusé troublait les lignes de son architecture et il menaçait d'en raboter la tête. Il fallut faire appel à l'arbitrage de Napoléon III qui finalement donna raison au sculpteur. C'est une des plus charmantes créations de l'artiste dans laquelle il marie le souvenir du XVIIIe siècle français à une ampleur charnelle rubénienne. Le sourire de la nymphe, son geste écartant le buisson de fleur, la ronde des amours potelés, forment un ensemble d'une souriante vivacité, typique d'une société qui avait fait de l'hédonisme son credo.
Les mésaventures de « La Danse » pour la façade de l'Opéra de Paris sont différentes. Là c'est son intransigeance qui le mit en difficulté : grâce à l'appuis de l'architecte Charles Garnier qu'il avait connu dans sa jeunesse aux petites écoles, il obtint la commande de l'un des quatre groupes qui devaient décorer le rez-de-chaussée du monument. Il persuada son ami d'augmenter le nombre de figures, alors que la commande précisait qu'il ne devrait y en avoir que trois. La réalisation entraînant de gros frais il y engloutit la dot de sa femme. Quand la façade fut enfin dévoilée au public en 1869 ce fut un beau scandale : on l'accusa d'avoir sculpté non des nus mais des déshabillés, un critique ne déclara-t-il pas que les nymphes sentaient le vice et le vin? Un inconnu jeta même sur le groupe un bouteille d'encre. L'administration décida de déplacer le groupe et de le remplacer, mais, sur ces entrefaites, la guerre de 1870 survint. On avait d'autres chats à fouetter. La mort prématurée de l'artiste en 1875, calma les esprits, la sculpture resta en place. Aujourd'hui elle est exposée au musée d'Orsay, une copie de Belmondo, le père de l'acteur, la remplace.
Un groupe de joyeuses danseuses forme une ronde autour du génie de la Danse bondissant, les attitudes, les flexions de deux figures au premier plan, l'entrelacement des bras, des jambes, les drapés virevoltants, dynamisent un ensemble qui est l'image même du mouvement. Ici aussi, on retrouve l'inspiration baroque de Rubens, ce souffle puissant de la vie.
Il ne faudrait pas croire à partir de ces trois exemples que Carpeaux fut un artiste maudit. Loin de là. Si son œuvre fut pour quelques contemporains « une somme d'obscénité », il fut largement reconnu comme l'un des artistes majeurs de son temps. À l'instar de Carrier-Belleuse, il réunit autour de lui un atelier pour décliner en différentes matières comme en différents formats ses créations les plus abouties ; ce fut un succès qui lui permit de combler bien des pertes financières. Il fut aussi l'un des familiers, sinon l'un des intimes, de la famille impériale qui lui acheta le Pêcheur à la coquille et lui commanda un série de portraits moins officiels dont le dernier buste de Napoléon III fait en exil (1873). Le monarque y apparaît vieilli, usé, désenchanté. Plus charmante est la statue du prince impérial, grandeur nature, en compagnie de Nero le chien de son père. Carpeaux s'inscrit ici et avec autorité dans la longue lignée de portraits d'enfants qui émaille l'art français.
Gilles Coyne
- Ugolin et ses fils, 1863, bronze, Musée d'Orsay, © RMN-Grand Palais / Jean Schormans
- Le Triomphe de Flore, dit aussi Flore, vers 1866, modèle original en plâtre, Musée d'Orsay © RMN-Grand Palais / Hervé Landowski
- Le Prince impérial et le chien Néro, 1866, marbre, musée d'Orsay © RMN-Grand Palais / Michel Urtado
- La Danse, 1869, pierre d'échaillon, musée d'Orsay © RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt
Carpeaux (1827 – 1875),
un sculpteur pour l'Empire
24 juin – 28 septembre 2014
Musée d'Orsay
1, rue de la Légion d'honneur 75007 Paris
- Tél. : 01 40 49 48 14
- Internet : www.musee-orsay.fr
- Horaires et tarifs : tous les jours sauf le lundi de 9h30 à 18h, nocturne le jeudi jusqu'à 21h45. 11€ et 8,50€ (consulter le site), gratuité pour les moins de 18 ans, les 18-25 ans ressortissants ou résidents de longue durée dans les pays européens etc (consulter le site).
- Publications : catalogue. Édouard Papet et James David Draper dir. : Jean-Baptiste Carpeaux.- Paris 2014, RMN, 360p., 49€ ; Laure de Margeri : Carpeaux la fièvre créatrice.- Paris, 2014, Gallimard, (coll. Découvertes), 128p., 12€.
- Autour de l'exposition : visites conférences, visites-conférences en langue des signes, consulter le site.