Expositions
L'Invention du Sauvage
Exhibitions
« Étranges, étrangers... » le mot de Prévert n'a pas pris une ride et dit bien ce sentiment de fascination / méfiance que nous avons devant tout ce qui est différent. Depuis la fin du XVe siècle un grand mouvement de curiosité pousse l'Europe en dehors de ses frontières : on découvre l'extraordinaire complexité des sociétés humaines ; on admire, on sourit, on s'étonne, on s'indigne tout cela au nom d'un ethnocentrisme inconscient et d'une bonne conscience de fer. L’exposition que propose la musée du Quai Branly, un peu désordonnée, un peu fourre-tout, décline les manifestations, dans l’histoire, de la curiosité insatiable des badauds pour tout ce qui est monstrueux, étrange en un mot extra ordinaire...
Au début il y a la curiosité pour tout ce qui sort de l'ordinaire : la naine au visage couvert de poils comme un chat peinte pour l'Archiduc Rodolphe de Habsbourg dont l’effigie est conservée au château d'Ambras dans le Tyrol ou encore la femme à barbe portant son enfant dans ses bras portraiturée par Ribera, l'homme-chien et tant d'autres. Ces phénomènes étaient exposés dans les foires jusqu'à une époque récente. La manifestation du Quai Branly aborde, plus précisément, un phénomène qui étonne aujourd’hui ; l’organisation, dans les capitales d'Occident, de spectacles où étaient reconstituées des scènes « sauvages » – aux Folies Bergères à Paris par exemple - puis, plus tard dans un souci pédagogique, dans les pavillons exotiques, des expositions universelles ; véritables voyages à travers le monde.
Il semblerait que ce soit aux états Unis que l'exploitation quasi industrielle de ce goût pour l'extraordinaire humain soit née au début du XIXe siècle : Des impresarios organisent des spectacles où des indiens et des cow-boys miment la vie de la Prairie. Le roi Louis-Philippe impressionné commanda au peintre américain Catlin les effigies des chefs indiens qui sont autant des oeuvres d'art que des documents. Plus tard dans le siècle ce sera la tournée triomphale de Buffalo Bill qui fascinera le peintre animalier Rosa Bonheur. On n'oubliera pas de rappeler, bien qu'on n'en parle pas ici, le film de Max Ophuls qui commence par l'exhibition de Lola Montès, maîtresse déchue du roi de Bavière, chez Barnum... Enfin il y aura l'enchantement devant les danses sacrées de Birmanie, les danses du ventre etc. qui faisaient rêver un Occident frustré.
Parallèlement, se développe une curiosité « scientifique » beaucoup moins innocente. Au XVIIIe siècle quelques hommes de science prétendent lire le caractère d'un homme d’après les traits de son visage – la Physiognomonie de Lavater. Puis on en viendra à déceler les tendances géniales ou criminelles d'un individu à partir des formes de son crâne et de leurs protubérances ; ce sera la thèse de l'Italien Lombroso. De là établir une hiérarchie entre les races humaines il n'y avait qu'un pas qui fut allègrement franchi en s’appuyant sur la théorie de l’évolution de Darwin. Cette « Science » n’était pas gratuite elle a servi à justifier la suprématie de l'homme blanc et, partant, l’expansion coloniale à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. On remarquera, discrètement disposé dans une vitrine, un instrument barbare qui servait à mesurer une tête, l'inclination d'un profil etc. On admirera surtout ces superbes bustes en marbres de différentes couleurs sculptés par Cordier qui représentent des types exotiques : ici l'art désirait se mettre au service de la science.
La triste aventure de Saartje Baartman, la « Vénus Hottentote » originaire de ce qui est aujourd'hui l'Afrique du Sud, est là pour rappeler à quelles extrémités amenait ce genre de « science ». La jeune femme à l'énorme fessier fut exhibée de 1810 à 1815 à Londres et à Paris où elle devait mourir. Ses formes généreuses furent diffusée par la gravure, le dessin. à l'opposé des canons esthétiques de l'époque qui privilégiait un type de femme au corps mince allongé avec de petits seins, cette esthétique callipyge fascinait le public (et peut-être le faisait rêver, mais cela ne sera jamais avoué). Son corps sera disséqué par le baron Cuvier et ses restes conservés dans du formol. Ils ont été rendus à son pays pour y être inhumé il y a quelques années. La séquence filmée de ces obsèques est un des moments forts de l'exposition de par sa charge émotive : cette femme retrouvait une dignité dont on l'avait privée.
Au milieu d'une riche documentation icono-graphique, signalons un film fait pendant l'exposition Universelle de Paris en 1900 et qui montre un petit groupe de Canaques (leurs ancêtres furent cannibales ce qui affolait les bonnes gens) s'agitant en brandissant leurs casse-têtes. L'un d'entre eux sur-joue son rôle et manifestement se paie la tête des badauds. Note d'humour salutaire bien rafraîchissante… Car au fond si l’on connaît la réaction du public occidental par les articles de journaux, les films, voire par les sketches des Chansonniers on ignore pratiquement tout de ce que pensaient les acteurs de ces reconstitutions. Quelques extraits de mémoires montrent que leurs motivations n’étaient pas que financières et que leur curiosité égalait au moins celle de leurs spectateurs.
Le circuit se termine par une vidéo projeté sur les parois de la dernière salle, où plusieurs personnes déclinent leur refus du racisme, qu'il soit sexuel, religieux ou économique.
Gilles Coÿne
La Caravane égyptienne © Groupe de recherche Achac, Paris / coll. part. / DR
Les Pygmées au Royal Aquarium © Pitt Rivers museum, University of Oxford
"Zulu Mealtime" © Nicolaas Henneman, ce groupe de Zulu voyagea de Cape Town vers Londres en mai 1853
L'invention du Sauvage
Exhibitions
29, novembre 2011 – 3 juin 2012
Musée du quai Branly
27 ou 37, quai Branly, 206 ou 218 rue de l'Université, Paris 75007
Tél. : 01 56 61 70 00
Internet : www.quaibranly.fr
Renseignements pratiques : horaires : mardi, mercredi, dimanche de 11h à 19h – jeudi, vendredi, samedi de 11h à 21h. Fermeture le lundi sauf pendant les vacances scolaires. Tarifs : 7€, 5€ (tarifs réduits) ; 10€ et 7€ (tarifs réduits) pour les billets couplés, musée-exposition.
Publications : Catalogue, 2011, Paris, coédition du musée du quai Branly / éditions Actes Sud, 384 p., 49€ ; Hors-série de l'exposition, Beaux-Arts magazine, 52p., 9€ ; Textes et documents pour la classe, n° 1023, disponible dans le réseau SCEREN. Audio-guide en Français et en anglais, 5€ ; audio-guide téléchargeable sur le site internet du musée, 3€ ; Application iPhone de l'audioguide , français et anglais diponible sur le site internet du musée, 2,99€.
Animations : visites guidées, concerts, spectacles, ateliers, manifestations hors les murs etc. Pour le détails consulter le site du musée.