Expositions
Au-delà du Street Art
« L'Adresse » - le musée de la poste – propose un voyage dans l'avant-garde underground occidentale, principalement à Paris, voyage qui pour beaucoup sera une découverte. Qui n'a pas remarqué sur les murs de la capitale, cette silhouette de jeune femme peinte en noir au pochoir à même la paroi accompagnée d'une courte phrase poétique? Ou encore ces amusantes créatures venues de nulle part composées de pixels plaquées un peu partout ? Ces figures, et tant d'autres qui animent les endroits les plus incongrus de la ville, appartiennent à la mouvance du « Street Art », l'art de la rue en bon français - le monde du Street Art cherche volontiers ses références chez les Anglo-saxons qui sont pionniers en la matière et les pseudos à consonances anglaises sont monnaie courante. Cet art de la rue fait tellement partie de l'environnement quotidien dans certains quartiers qu'il risque souvent de passer inaperçu ailleurs et c'est bien dommage car il y a là une source inépuisable d'invention, d'émerveillement, de plaisir. L'exposition du musée, même si elle est lacunaire et incomplète (on se demande pourquoi Blek est absent), offre une excellente introduction à un phénomène qui n'en est qu'à ses débuts et dont la variété séduira. Pour le moment, disons-le tout de suite, ces jeunes gens en rupture de ban qui ont pris l'aire de la cité comme terrain de jeu, interpellent tout un chacun de façon gratuite et désintéressée. Pour le moment... car le monde officiel de l'art a rapidement apprécié l'inventivité, le talent et l'humour de créateurs parfaitement en phase avec lé'poque ; quelques-uns sont déjà exposés dans les galeries ; demain sans aucun doute ils finiront au musée...
Les uns souriront ou seront émus, d'autres s'irriteront de ce qu'ils prennent pour une pollution, d'aucuns enfin seront sensibles à un regard nouveau porté sur leur quotidien prosaïque et monotone. Le Street art est un art qui interpelle, ironise, s'indigne, un art qui s'adresse à tout le monde et non à une « élite », un art savoureux, impertinent, en un mot vivant ; c'est aussi un art de l'éphémère : la pluie, le soleil, la pollution dégradent inexorablement des oeuvres fragiles car faites de matériaux pauvres et périssables ; l'intervention iconoclaste des passants concourt aussi à leur disparition pour ne pas parler de la répression d'édiles soucieux de « nettoyer » la ville. Cette malédiction fait aussi la force du mouvement car elle accule les acteurs à un renouvellement perpétuel, une ré-invention permanente.
Il ne faut pas confondre le « Street art » avec le graffiti où les auteurs (appelés aussi graffeurs) travaillent à la bombe aérosol à de grandes fresques mouvementées aux couleurs violentes sinon criardes : créatures de cauchemar aux visages déformés, lettres qui se chevauchent en grouillements inquiétants, interjections, exclamations. L'agressive présence de graffitis – ou tags - peut devenir une véritable nuisance. Les artistes du Street Art qui peuvent être aussi virulents et véhéments pratiquent en revanche un art plus maitrisé, plus intellectualisé et ne répugnent ni à l'humour, ni au lyrisme. On notera à ce sujet les emprunts à la bande dessinée, voire à l'art des musées même s'il est détourné, et surtout aux différents mouvements qui marquent le retour du figuratif en France depuis la fin des années 60 : nouveau réalisme, figuration narrative, figuration libre.
Jérôme Ménager et Ernest Pignon-Ernest, les précurseurs, ouvrent l'exposition. Le premier avec ses mannequins d'ateliers peints en blanc que l'on a vu gesticuler un peu partout sur les murs de Paris, l'autre utilise de grands pochoirs en noir et blanc imprimés sur papier qu'il colle sur les murailles. Il travaille par séries créant des parcours inspirés de tableaux ou de photos pour transcender les lieux. On se souvient de la saisissante intervention qu'il fit il y a plus d'une dizaine d'années à Naples dont il magnifiait le baroque déliquescent en collant un peu partout des détails de toiles du Caravage. Son « Expulsions » exposée au musée de la Poste ( fin des années 70 début des années 80) dénonce la situation des gens modestes que la spéculation immobilière chasse de chez eux. Sur le haut mur mitoyen d'un immeuble qui vient d'être rasé et qui porte comme des cicatrices la trace des anciens logements (arrachements de cheminées, papier peint, carrelages...) il a plaqué de grandes feuilles où un couple, grandeur nature, chargé d'un barda dérisoire s'éloigne.
La génération suivante utilise une plus grande variété de moyens : la peinture, le pochoir, le sgraffito au burin, voire au marteau piqueur, la calligraphie...
Le pochoir reste, de loin, le médium préféré : l'Anglais Banksy, dont une vidéo décrit la personnalité un peu névrosée, vaporise sur toutes sortes de surfaces, de rats sarcastiques, de singes, humains trop humains - ces figures ont fait le tour du monde. L'Américain Shepard Fairey. Plus connu aujourd'hui pour son portrait du président Obama, revisite les grandes affiches de propagande chinoises et autres. Les Français seront surtout sensibles à l'univers de Miss.Tic, une virtuose du pochoir qu'elle pratique avec une grande élégance et beaucoup de séduction. Ses procédés sont simples mais efficaces. Il s'agit toujours d'une jeune femme – des autoportraits ? - seule ou confrontée à un homme et toujours accompagnée d'une phrase doucement décalée : Un remède à l'amour aimer encore, Plus fort que la passion l'illusion, Je suis la voyelle du mot voyou...
Invader, lui, a couvert les endroits les plus improbables de réjouissantes créatures faites de pixels démesurément agrandis. On les a vues jusque sur les pages du journal Libération il y a quelques mois. Créatures imprimées sur papier elles aussi mais qui récemment se déclinent en mosaïques pour salles de bain comme on peut le voir sur un mur de la rue de Candie dans le 11e. Il est impossible de citer tout le monde dans le cadre de ce court article. Cependant on ne résistera pas au plaisir de signaler le Portugais Whils, il travaille à Lisbonne et à Londres, qui n'hésite pas à attaquer un mur sombre au marteau-piqueur pour faire apparaître en clair son sujet ou encore Rero qui affiche des messages d'erreur barrés sur les murs. Sa grande installation qui clôt l'exposition est d'un rare pessimisme : Sur le mur, il a inscrit Page not found, barré, avec au pied une accumulation de livres de rebut piétinés, couverts de gravas. La fin d'une culture, celle du livre? L'absence de réponses aux interrogations des jours d'aujourd'hui?
Arrivé en fin de parcours on se permettra cependant un bémol : à être exposées ainsi sur les cimaises immaculées d'un musée ces oeuvres perdent un peu de leur force – il leur manque le grand air, la crasse de la rue... Il ne restera plus au visiteur qu'à marcher le nez en l'air dans la ville...
Gilles Coyne
- Banksy, Laugh now, sérigraphie couleurs sur pochette de disque vinyle, 2008, coll. Perticulière, © photo M. Fischer
- Vhils, Disposable Utopia 10, acrylique sur affiches collectées dans la rue. Coll. A.Oliveux © Photo galerie Magda Danysz
- Invader, Miss.Tic, clichés effectués in situ dans la rue, 11e arrondissement Paris
Au-delà du Street Art
28 novembre 2012 – 30 mars 2013
L'adresse, Musée de La Poste
34, boulevard Vaugirard, Paris 15e
- Tél. : 01 42 79 24 24
- Site internet : www.ladressemuseedela poste.fr
- Horaires et tarifs : Tous les jours de 10h à 18h, sauf dimanches et jours fériés. Tarifs, 6,50€, Tarif réduit, 5€, gratuit poue les moins de 13 ans et pour les Postiers.
- Publication : Catalogue, Paris, 2012, Critères éditions / l'Adresse Musée de La Poste, 98 p., 20€
- Animations : activités pour les jeunes et les petits, pour les plus grands, visites guidées et tables rondes et séances de dédicaces, consulter le site du musée.