Expositions
L'Inca et le conquérant,
Leurs portraits, hypothétiques puisqu'ils furent peints des centaines d'années après leur mort bien que basés sur des descriptions contemporaines, accueillent le visiteur : à l'inca Atahualpa despote impitoyable qui régnait sur un empire s'étendant tout au long de la cordillère des Andes sur près de vingt mille kilomètres de long où vivait plus de dix millions de sujets quasi esclaves, s'oppose l'aventurier espagnol illettré Pizarro, homme au courage surhumain à l'implacable férocité doublée d'une audace inouïe et poussé par une soif de l'or irrépressible. C'est autour de leur duel que le musée du quai Branly a organisé une intéressante exposition sur ce que fut la vie et la mort d'une des grandes civilisations de l'histoire sous les coups de butoir d'une bande de fauves crasseux et ignares. Si la personnalité de Pizarro inspire peu la sympathie, gardons-nous cependant d'idéaliser l'Inca Atahualpa qui, en dépit d'une personnalité chaleureuse et ouverte, était tellement imbu de son essence quasi divine qu'il ne vit simplement pas le piège grossier qui lui était tendu.
Les armes prêtées par le musée de l'armée disent la violence physique des guerres européennes de ce temps : cuirasses, casques et morions, de métal étincelant – on les imagine moins brillants et plus bosselés dans le quotidien -, piques, lances, arbalètes, mousquets, machines à blesser, à étriper, à tuer pour primitives qu'elles paraissent étaient redoutablement efficaces ; ne parlons pas des chevaux qui frappèrent de stupeur les soldats de l'Inca. Un armement lourd opposé aux massues et aux frondes des guerriers amérindiens vêtus de simples tuniques colorées et coiffés de bonnets matelassés ; Atahualpa pouvait bien rassembler plusieurs dizaines voire centaines de milliers de soldats armés jusqu'aux dents, il ne pouvait compter que sur l'effet de masse face à une poignée de soudards bardés de fer, prêts à tout et qui n'avaient plus rien à perdre. Son aveuglement fut la cause de sa perte, il n'avait pris la mesure ni de la détermination des conquistadors ni de leur traitrise. L'événement eu lieu à Cajamarca à plus de mille kilomètres de Cuzco sa capitale. Pizzaro, prétextant un blasphème – l'Inca avait rejeté une bible et une croix que lui présentait un moine – arracha le monarque à son palanquin, et le fit prisonnier devant une armée foudroyée : il faut dire que selon la croyance des indiens, si l'Inca foulait le sol, un tremblement de terre devait survenir. Il fallut une longue guerre farouche, sans pitié aux nombreux rebondissements et qui dura plus de 70 ans pour que les Espagnols s'imposent définitivement.
L'exposition adopte l'ordre du déroulement des faits : On suit les Espagnols depuis Panama, cinglant vers le sud à la recherche d'un pays mythique dont ils avaient vaguement entendu parler – le Pirù regorgeant d'or et d'argent - jusqu'à leur triomphe final et l'établissement d'une société métissée où la greffe chrétienne espagnole « régénéra » les peuples indigènes. Cette épopée est bien connue car de nombreux témoins en ont relaté les épisodes. L'ouvrage le plus intéressant est celui de Guamàn Poma de Ayala (1534 - 1615), la Nueva Coronica y Buen Gobierno, en fait une lettre manuscrite destinée à Philippe II d'Espagne pour lui signaler les abus et les crimes du systèmes de l'encomienda appliquée aux Indiens. Poma de Ayala, né d'un hidalgo et d'une princesse inca fille de Tupac Yupanqui, illustra sa longue supplique de dessins, véritable BD avant la lettre : le trait vif, lisible, la narration savoureuse et familière donnent vie à ce récit naïf et coloré. Ces vignettes scandent le parcours en en illustrent les épisodes.
Les indiens incas furent de prodigieux bâtisseurs leur architecture – palais, temples, forteresses faits de blocs énormes irréguliers, soigneusement jointoyé, couverts de plaques d'or - stupéfia les conquistadors. Elle est absent ici par la force des choses ainsi que ces rochers taillés aux formes énigmatiques (ancêtres du Land Art?) – les photos ne sauraient remplacer l'effet oppressant et grandiose de leur masse. Pour l'or et l'argent qui firent le malheur de ces pays, il faut se contenter des petites figurines représentant des lamas et des hommes nus. Leurs lignes puissamment synthétiques donnent une dimension monumentales à ces statuettes. La grande aryballe de terre cuite peinte, décorée en pastillage représentant des spondyles, ces coquillages tant prisés des Indiens, est une pièce exceptionnelle tant par sa taille que par son décor, elle contenait la chicha, une bière indienne que l'Inca distribuait lors de certaines festivités. Elle voisine avec d'autres récipients typiques de ces régions : vases plastiques en forme de personnages, d'animaux (remarquer une tête de lama assez réaliste), ils contenaient les hallucinogènes nécessaires au culte. On fera une mention spéciale du « trône » en bois similaire à celui d'Atahualpa, objet relevant plus de l'ethnologie que de l'histoire des arts somptuaires ; ce meuble usé, fatigué, était en fait un objet de luxe et de pouvoir, il devait paraître bien dérisoire aux yeux d'Européens habitués à la pompe de leurs souverains. On notera que la plupart des objets incas conservés par le musée du quai Branly proviennent de campagnes d'explorations menées pendant la seconde moitié du XIXe siècle et ne sont pas issus du commerce de l'art.
On remarquera des tableaux étranges, de facture naïve aux couleurs chaleureuses, représentant les princes de la dynastie inca. Ces portraits, plus symboliques que réalistes, dits de l'école de Cuzco, furent peints longtemps après les événements pour les demeures des descendants des conquistadors. Leurs ancêtres mi par politique pour asseoir leur pouvoir, mi par manque de femmes épousèrent ou se mirent en concubinage avec des princesses inca. Une étrange toile datée de 1718, relate les épousailles d'un membre de la famille de Loyola avec une princesse inca, puis celui de leur fille avec un descendant de la dynastie des Borgia. Composition maladroite où les scènes réelles et symboliques se mélangent : le sens prime sur l'esthétique. On y voit au premier plan les deux couples, puis derrière eux les deux saints tutélaires – Ignace de Loyola fondateur des Jésuites et François Borgia arrière petit fils du si célèbre Pape, plus haut à gauche les souverains inca trônent, à droite, les épousailles du premier couple tandis qu'entre les deux s'ouvre un paysage où resplendit le monogramme de la Compagnie.
Cette conquête a frappé les esprits des contemporains, elle est devenue légendaire et a inspiré au travers des siècles hommes de lettres, peintres et musiciens, quelques échantillons de cette production sont présentés ici. Pour quitter cette sombre histoire sur un sourire évoquons les Indes Galantes de Rameau et la Périchole d'Offenbach...
Gilles Coyne
L'Inca et le conquérant
23 juin au 20 septembre 2015
Mezzanine est
Musée du quai Branly
37, quai Branly, Paris, 75007
Yél. : 01 56 6170 00
site internet : www.quaibranly.fr
- Horaires et tarifs : mardi, mercredi et dimanche de &&h à 10h, jeudi, vendredi et samedi, 11h à 21h. Tarifs, 9 et 7€, gratuit pour les moins de 18ans et les étudiants de la Communauté européenne jusqu'à 25 ans.
- Publications : catalogue, coédition musée du quaiBranly/Actes Sud, 224 p., 120 ill., 35€ ; Hors série Beaux-Arts magazine, 52p., 9€
- Autour de l'exposition : soirée ludique Before l'Ince vendredi 3 juillet de 19h à 23h ; Colloque sur les Mondes miniatures dans le monde andin, l'Or des Incas, vendredi 4 et samedi 5 août 2015. consulter le site du musée pour plus de détails.