Expositions
Garouste, En Chemin
Dina, elle s’appelle Dina, est un obscur personnage de l’ancien testament en marge de l’histoire de Rebecca, le texte biblique la décrit ainsi : c’était « une jeune fille extrêmement belle, vierge, et aucun homme ne l’avait connue ». Vierge ? Aucun homme ne l’avait connue ? Il faut se remémorer l’Orient (l’ancien comme l’actuel) et ses subterfuges pour contourner les règles d’une morale obsédante, pour saisir où veut en venir l’auteur. Et oui une jeune fille est dotée, comme les hommes, d’un second orifice pour satisfaire l’homme qu’elle aime tout en restant vierge... Dina n’était pas de ces femmes là, mais qui sait ?
Garouste lui a dédiée une des œuvres les plus étranges de la rétrospective qu’a organisée la fondation Maeght à St-Paul de Vence : la toile – grande, elle mesure deux mètres sur deux mètres soixante – s’organise en trois parties. À gauche, une sorte de monstre polymorphe, fait de pattes, de queues, d’arrière-train d’âne, enserre comme dans un médaillon le regard perçant d’un homme mûr, Menace-t-il la jeune femme ? Occupant la majeure partis de l’espace, Dina désarticulée de façon très picassienne, les quatre fers en l’air, les mains disproportionnées, repose sur une couche aux draps froissés. Elle est dotée de deux vagins et de deux anus. son beau visage aux yeux clos se referme sur le mystère de sa virginité et de sa pureté. Enfin, à l’extrême droite en arrière plan, par la porte on voit un petit personnage entassant des pierres (pour la lapidation de l'insolente ?)
« Je veux peindre ce que l’on ne dit pas » le propos du peintre est de montrer ce qu’il y a de grotesque dans l’attitude de certains moralistes religieux cherchant à régenter ce qui leur échappe et leur échappera toujours : la puissance et la beauté du désir humain, l’irrépressible aspiration des hommes vers l’amour, qu’il soit Éros ou Agapé. La somptuosité de la palette (ah le rouge tyrien des murs !), la richesse de la touche (le froissé du drap aux plis cassés !), l’harmonie froide des couleurs, la virtuosité de la construction savent se mettre au service d’une idée forte.
Le titre de L’exposition, En Chemin, décrit parfaitement ce que fut le rugueux parcours du maître. Gérard Garouste est né en 1946 d’un couple destructeur ; un père catholique antisémite et une mère effacée pour ne pas dire inexistante. Une enfance difficile, un cursus scolaire cahoteux dans une institution d’élite, n’auront pas raison d’une vocation irrépressible vers la peinture. Affligé dès sa jeunesse de crises de paranoïa violentes qui le conduisent de façon récurrente á faire des séjours en clinique, l’artiste va trouver dans l’art et la recherche religieuse les moyens de se construire. Il doit ses premiers succès á ses amis Jean-Michel Ribes et Fabrice Emaer qui lui commandent de grands décors l'un pour son théâtre, l'autre pour le Palace qui régnait alors sur la nuit parisienne, mais c'est le galeriste new-yorkais Leo Castelli qui lance sa carrière internationale.
Alors que tout semble dit et que l'art contemporain patine entre nombrilisme et vacuité, Garouste tourne le dos à ce monde faussement transgressif et se met à l'école des grands anciens, il va chercher en eux les secrets d'une expression renouvelée du monde, une réponse aux questions qui l'obsèdent. Dans sa quête de l'essentiel, Garouste, sans être juif lui-même au sens strict (mais cela a-t-il de l'importance?), est allé à la rencontre de la sagesse juive pour structurer sa démarche. Il étudie attentivement la Torah en compagnie de rabbins et de philosophes et pour en comprendre plus intimement le sens profond il s'est initié à l'hébreu ; initiation qui dure toujours. Il interroge aussi les grands mythes fondateurs de l'humanité, qu'ils soient mythologiques ou chrétiens et il donne de tout cela une image « intranquille », selon le titre du beau livre introspectif qu'il vient de publier et que tout visiteur devrait lire avant d'entrer dans le lumineux bâtiment de Sert.
L'art de Garouste est donc un art du questionnement, un art tourmenté même quand il s'auto-portraiture ou qu'il peint ses amis. à la recherche de sa propre vérité, de son propre sens de l'existence, il ne souhaiter ni ne tente d'apporter des réponses mais interroge encore et toujours. Cela donne des tableaux bizarres, déséquilibrés, peuplés de personnages et d'êtres inquiétants mi hommes, mi bêtes et, parfois, mi végétaux, mi chair. Des créatures désarticulées, aux proportions monstrueuses, aux faces grimaçantes. Toiles véhémentes où le tragique côtoie le grotesque. Une peinture surréaliste et expressionniste à la fois, mais un surréalisme qui pose des questions, qui inquiète et non un surréalisme qui intrigue et qui amuse comme c'est souvent le cas aujourd'hui. De même son expressionnisme, dérangeant souvent, est le fruit d'une angoisse personnelle qui nous touche profondément parce qu'il met en cause un certain confort intellectuel et moral dans lequel nous nous vautrons en ces temps de prêt à penser.
Tournant le dos aux pratiques de la création contemporaine, Garouste met ses pas dans ceux des maîtres du passé dont il reprend les recettes et dont il s'inspire. On ne s'étonnera pas de le voir plus sensible aux maîtres « intranquilles » qu'aux grands classiques sereins. Sa fascination pour l'Espagne nourrit une grande part de sa création : Le Greco, Goya, Cervantès à qui il dédie une grande toile. Mais aussi la face cachée du siècle d'or, l'Inquisition que l'on retrouve dans ces personnages coiffés des bonnets d'infamie ou vêtus de ces robes décorées de flammèches qui vont les dévorer Le Puits, 2007, toujours dans la même toile remarquer le curieux personnage de droite, il semble échappé d'un tableau de Jérôme Bosch (il est vrai que Le Prado conserve la plus belle collection de ce peintre). Bosch et les fantastiques nordiques, les peintres de la Renaissance allemande, le si pathétique Grünewald dont il paraphrase le retable d'Issenheim en deux grandes toile introspectives l'inspirent encore.
étrange artiste, déroutant pour celui qui ne possède pas forcément les codes d'une culture biblique ou mythologie. Mais il ne faut pas se laisser intimider par l'ignorance. Répétons-le, le visiteur aura intérêt à acquérir le petit livre de poche où le peintre se livre. Outre une confession par moment bouleversante – il faut un certain courage pour décrire minutieusement sa folie, même si cela fait partie de la thérapie – il comprendra beaucoup de choses en dépit de sa méconnaissance des arcanes de la Torah. Le choc de ces grandes toiles si riches en couleurs, si mystérieuses, si profondes est une expérience rare dans l'art d'aujourd'hui autant en profiter...
Gilles Coyne
- Vue des bâtiments de la Fondation depuis les salles, photo de l'auteur
- Dina, 2005, huile sur toile, 200 sur 260 cm., Collection Daniel Templon © Pho numeris'Art studio © adagp Paris 2015
- Le Puits, 2007, huile sur toile, 114 sur 195 cm., collection particulière © courtesy Daniel Templon, Paris. Photo Bertrand Huet © adagp Paris 2015
Gérard Garouste
En Chemin
27 juin – 29 novembre 2015
Fondation Marguerite et Aimé Maeght
623, chemin des Gardettes, 06570 Saint-Paul de Vence
Tél. 04 93 32 81 63
- E-mail : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
- Internet : www.fondation-maeght.com
- Horaires et tarifs : tous les jours d'octobre à juin de 10h à 18h ; de juillet à septembre de 10h à 19h. Adultes 15€ ; groupe de + de 10 personnes, étudiants, 10€ ; enfants de moins de 10 ans, gratuité comme pour les membres de la Société des amis ; droit de photographier 5€.
- Publication : catalogue, Gérard Garouste, En Chemin, éditions Flammarion/Fondation Maeght, 288p., 39,90€ ; Gérard Garouste avec Judith Perrignon : « L'Intranquille, autoportrait d'un fils, d'un peintre, d'un fou ». - 2015, Paris, le Livre de poche (2009, Paris, L'iconoclaste), 156p., 6,10€.