Expositions
Florence, portraits à la cour des Médicis
Une véritable fête de l'élégance ! Le musée parisien Jacquemart André avec l'exposition sur le portrait florentin à la cour des premiers Médicis fait l'événement en cet automne 2015. C'est une première en France et aussi à l'étranger où le thème n'avait jusqu'ici jamais fait l'objet d'une telle manifestation : réunion exceptionnelle d'une quarantaine de tableaux dont il faut profiter d'autant plus qu'en dehors de Florence, ils sont assez rares dans les musées et collections ; l'hôtel quasi palatial des Jacquemart André avec ses collections italiennes fameuses et qui abrite trois portraits de cette époque, offre un cadre idéal à ce rassemblement avec son superbe hall tapissé de sculpture de la Renaissance italienne. On ne manquera pas de s'y arrêter avant d'entrer pour regarder la vidéo aussi pertinente qu'impertinente où l'historien Hector Olbalk décortique la représentation donnée par les portraitistes de l'époque à cette partie du corps que l'on remarque rarement : les mains. La complexité antinaturelle de la disposition du membre à la limite de l'impossible, particulièrement marquée chez Bronzino, symbolise à ses yeux ceux qui, rares alors, ne faisaient rien de leurs dix doigts.
Le parcours illustre les premières décennies où cette famille de banquiers, qui, certes, avait déjà gouverné Florence et la Toscane, impose dans le premier tiers du XVIe siècle, non sans violence ni compromissions avec l'Espagne de Charles Quint, son pouvoir, le rend pérenne et devient un des acteurs incontournables de la politique européenne au point de donner deux reines à la France – elles ont laissé des souvenirs mitigés d'ailleurs. Mue stupéfiante, si on se remet en mémoire les préjugés de l'époque, qui voit des banquiers devenir Grands Ducs alors qu'en Allemagne par exemple les Fugger, tout aussi riches, tout aussi influents, ne l'ont pas réussie.
L'art du portrait avait atteint déjà un niveau remarquable pendant la première renaissance - on se souviendra de Pisanello puis plus tard de Ghirlandaio, d'Antonello de Messine... Il évolue dans les premières décennies du XVIe siècle et gagne en raffinement et en profondeur. La pose devient plus souple, plus naturelle, le dessin tout aussi précis, se fait plus sinueux et l'usage du « sfumato » inventé par Léonard rend l'effigie plus présente ; les couleurs minérales, aux accords subtils et froids donnent une intensité précieuse au tableau qui nous séduisent aujourd'hui. Il se dégage de ces personnages un air d'élégance, de naturel que l'on ne retrouvera dans la peinture occidentale qu'au XVIIIe siècle.
Le portrait, qu'il soit intime ou officiel, est un des éléments essentiels de la propagande par les arts par laquelle la famille Médicis cherche à justifier son pouvoir sur une ville rebelle. Hommes d'armes à l'époque de la reconquête, effigies sereines de la période de consolidation du pouvoir, idoles surchargées de bijoux et de broderies à l'orée du baroque.
Le Portrait d'Alexandre de Médicis (1510-1527) devant la ville de Florence par Giorgio Vasari est caractéristique des premiers temps. C'est à la fois une image classique et moderne : la tête de profil selon la tradition du quattrocento ou celle des médailles, se détache sur le fond obscur d'un mur et d'un rocher, en arrière plan la ville assombrie par des nues orageuses semble attendre son maître. Au corps engoncé dans une armure hérissée, agressivité renforcée par le casque tout en pointes posé à terre, s'oppose à l'attitude décontractée du prince tenant un lourd bâton de commandement. On remarquera l'architecture compliquée du tabouret sur lequel est assis le despote ainsi que la sécheresse de drapé rouge. Effigie plus symbolique que réaliste qui dit bien la brutalité du personnage : Alexandre, fils illégitime (sans doute) du Pape Clément VII, avait le teint aussi sombre que l'âme – on l'affubla du surnom Le Maure. Tableau crépusculaire bien significatif d'un personnage qui s'imposa en violant tous les traités et finit assassiné, à l'âge de 26 ans, par son cousin (et amant? Le Lorenzaccio de Musset) quelques années plus tard.
Tout autre est celui de Côme 1er son lointain cousin et successeur quelques trente ans plus tard. Agnolo Bronzino a représenté la premier Grand Duc de Toscane à mi-corps dans une pose décontractée mais qui n'est pas sans noblesse. Plus séduisante encore l'effigie de son épouse Eléonore de Tolède, fille du vice-roi de Naples, signée du même peintre qui exerçait à la cour des grands duc une sorte de proconsulat des arts, s'organise avec une simplicité sophistiquée identique. La duchesse, légèrement de biais regarde le spectateur et esquisse un début de moue dubitative. L'artiste s'attarde avec virtuosité à la description de sa vêture et de sa parure. Le musée Jacquemart-André conserve d'elle une autre image due au même artiste et la représentant quasi en pied, reprise d'atelier sans doute. plus hiératique, elle est typique de ces portraits d'apparat qui au fil des ans se formalisent au point de se transformer en icône. La Marie de Médicis par Santi di Tito et son atelier n'est plus qu'un mannequin supportant une lourde robe en tissus somptueux, raidie de broderies, de dentelles, alourdie de bijoux, la tête de porcelaine, ingrate, rappèle qu'il s'agit, quand même, d'un être humain...
Moins formalisées et plus vivantes sont les images de courtisans, de grands personnages, d'artistes qui animaient une des cours les plus brillantes et les plus imaginatives d'Europe. Ses effigies si simples, si naturelles cachent souvent une symbolique sophistiquée qui nous échappe : hommes ou femmes, ils se sont souvent fait représenter un livre à la main ou dans leur bibliothèque. Les musiciens jouant de leurs instruments, dus à Francesco Salviati ou à Jacopo Pontormo, rappèlent le prestige dont jouissait la musique dans une des villes où naîtra quelques décennies plus tard, l'opéra ; autre thème, l'amitié philosophique s'illustre dans deux tableaux, l'un de Pontormo, l'autre de Mirabello Cavalori. Ce sentiment délicat s'épanouit un peu partout en Europe, en ces temps de violence. L'atmosphère mélancolique du double portrait de Jacopo Pontormo, représentant deux amis méditant sur le texte de Cicéron que l'un des deux tient dans sa main semble illustrer la fameuse phrase Montaigne quelques décennies plus tard : « Parce que c'était lui, parce que c'était moi »... Dans cette toile transparaît le profond malaise existentiel dont souffrait le peintre.
Gilles Coyne
- Giorgio Vasari, Portrait d'Alexandre de Médicis devant la ville de Florence, vers 1534, huile sur bois, Florence, Galleria degli Uffizi © S.S.P.S.A.E. E per il Polo Museale della Città di Firenze.
- Agnolo Bronzino, Portrait de dame en rouge, 1532-35, huile sur bois, Städel Museum, Francfort, © Städel Museum – U. Edelmann / Artotek
- Francesco Salviati, Portrait d'un joueur de luth, 1529 – 1530, huile sur bois, Paris, Musée Jacquemart -André-Institut de France © Studio Sébert Photographes.
Florence
Portraits à la cour des Médicis
11 septembre 2015 – 25 janvier 2016
Musée Jacquemart André, Institut de France
158, boulevard Haussmann, 75008 Paris
Site internet : www.musee-jacquemart-andre.com
Horaires et tarifs : tous les jours de 10h à 18h, nocturne jusqu'à 20h30 les lundis. Plein tarif 12€, tarif réduit 10€ (enfants de 7 à 17 ans, étudiants, demandeurs d'emploi. Offre famille, gratuité pour le 2e enfant de 7 à 17 ans.
Publications : Catalogue, 208p., 32€ ; Hors-série Connaissance des Arts, 9,50€ ; Journal de l'expo / Beaux-Arts magazine, 5€ ; Site internet www.florence-portraits.com ; Visikte commentée sur iphone/ipad et android, en français et en anglais, 3,99€ ; livre-Jeu pour les enfants (7-12 ans) gratuit.