Expositions
Primitifs flamands
Trésors de Marguerite d'Autriche, de Van Eyck à Jérôme Bosch.
Marguerite d'Autriche (1480 - 1530) fut une des femmes les plus fortunées de son temps mais aussi une des plus infortunées. Petite-fille de Charles le téméraire et son héritière par le canal de sa mère unique enfant du grand féodal, elle fut fiancée à l'héritier de la couronne de France et comme telle élevée en France. Ce qui n'empêcha pas Charles VIII de la répudier au profit d'Anne de Bretagne (qui apportait son duché). Mariée avec l'infant d'Espagne qui meurt au bout de six mois, elle épouse Philibert de Savoie, union interrompue au bout de trois ans par un banal accident de chasse... Elle renonce à convoler à nouveau et se coule dans un confortable et quiet veuvage : héritages et douaires en font une des femmes les plus riches d'Europe. À vingt-cinq ans elle renonce aux joies matrimoniales - Marguerite Yourcenar dans l'œuvre au noir suggère que ses goûts ne la portaient guère vers les hommes – pour se consacrer à la politique où va s'épanouir son talent. Son père, Maximilien d'Autriche, et plus tard son neveu, Charles quint, en lui confiant les pays-Bas n'eurent qu'à se louer de sa gestion ferme, prudente et sage.
Au sein de la Bresse, terre traditionnelle de la maison de Savoie, un des éléments les plus riches de son douaire, Marguerite d'Autriche décide d'édifier dans la proche banlieue de Bourg-en-Bresse au lieu-dit Brou une église et un monastère autour du tombeau de son époux, du sien et de celui de sa mère. Elle fait appel aux meilleurs artistes flamands de l'époque ; peintres, sculpteurs, hûchiers, maîtres verriers animés par l'architecte Louis van Bodeghem édifient un des plus somptueux monuments en gothique flamboyant d'Europe. Elle n'en verra jamais l'achèvement. Simple œuvre de piété maritale et familiale? Le choix du lieu n'a rien d'innocent à deux titres : Bourg-en-Bresse n'est pas très éloigné de Dijon la capitale du duché de Bourgogne confisqué par Louis XI et que manifestement elle et son neveu Charles Quint, n'avaient pas renoncé à récupérer. De plus, la ville faisait aussi partie de l'apanage du demi frère de son mari, René de Savoie, dit le Grand Bâtard de Savoie, que son père avait légitimé sur son lit de mort. Marguerite nourrissait à son encontre une haine féroce due sans doute à son inféodation à la France. Elle n'eut de cesse que de le faire chasser de la cour de son époux, après confiscation de ses biens savoyards.
Cette femme qui par deux fois faillit être reine possédait une des collections de peintures les plus importantes d'Europe et le musée organise cet été une exposition pour donner l'idée de ce que pouvait être un tel rassemblement d'œuvres, bien connu grâce aux inventaires faits après sa mort. Il s'agit essentiellement de peintures nordiques dont elle a hérité ou qu'elle a acquis pour orner son palais de Malines en Belgique et aussi les différents lieux qu'elle voulait honorer. Le monastère royal de Brou bénéficia de ses libéralités, il ne reste plus rien aujourd'hui de ce brillant en-semble, révolutions et négli-gences ont fait leur œuvre.
Il s'agit de tableaux de petit format, dont l'essentiel se composait de portraits d'ancêtres, de parents, de familiers et d'ouvrages de piété. Ces derniers, typiques d'une sensibilité chré-tienne nouvelle, servaient de sup-ports à une réflexion personnelle sur les mystères de la foi chrétienne - la Devotio Moderna -, soit une pratique plus intime, voire mystique de la religion qui annonce le grand mouvement d'idées qui devait déboucher sur la Réforme. Le Christ sauveur du monde de Joos Van Cleve est typique de cette production raffinée destinée à un public possédant de gros moyens. Sur un fond abstrait doré, un jeune homme au regard doux, chevelure et barbe auburn, vêtu avec raffinement d'une robe bleue et d'un manteau corail que ferme un riche camail orfévré, semble accorder son pardon au spectateur, il le bénit de la main droite tandis que de la main gauche il tient le globe de « l'imperium mundi ». Une icône (le fond doré), mais aussi une image réelle – remarquez le reflet de la fenêtre sur le globe de cristal. Ne perdons pas de vue que cette douceur n'était nullement incompatible avec les bûchers et les échafauds de l'époque.
Le collection, si elle comportait des tableaux des grands peintres flamands de la première génération - présents ici surtout par des copies - se composait essentiellement de peintures de la première renaissance quand les artistes nordiques découvraient et interprétaient les trouvailles des Italiens. Joos Van Cleve, Mabuse, Adriaen Isenbrandt, Bernard Van Orley et Jerôme Bosch etc.. Elle achetait leurs œuvres, et soutenait leurs auteurs. Ces peintures aussi raffinées que curieuses dont les personnages aux postures forcées, vêtus de costumes parfois extravagants aux plis compliqués évoluant dans des architectures aussi chargées qu'irréalistes, séduisent, agacent, amusent tout à la fois. Deux grands panneaux dus à Bernard Van Orley, le Portement de croix et la Descente de croix donnent une bonne idée de cet art de cour savant et inutilement compliqué. La composition mouvementée des personnages et des groupes, construite sur des lignes contrastées qui en s'opposant dynamisent une action aussi dynamique qu'arbitraite. Ce ballet rayonne de couleurs vives, claires, raffinées et chatoyantes. Cela a beaucoup de charme même si le plaisir se fait en partie aux dépends du sentiment. Que sont devenues les austères formes de Robert Campin, la précieuse matière de Jan Van Eyck, les anguleuses effigies de Rogier Van der Weyden ?
L'Enfant Jésus de saint Jean Baptiste de Joos Van Cleve, ravissant petit tableau montrant deux putti nus se cajolant assis sur un luxueux coussin aux broderies et aux pompons d'or, devant une architecture irréelle sur fond de paysage, témoigne des qualités et des limites d'un art où la séduction prime sur la force d'expression. Le même artiste est infiniment mieux inspiré quand il peint le portrait de la dame dont il a su saisir l'implacable sérénité sous les voiles de veuve et les accessoires d'une piété confortable. Cet artiste qui fut un de ses peintres préférés est le mieux représenté ici.
Marguerite d'Autriche n'était pas une collectionneuse au sens où nous l'entendons aujourd'hui. La notion n'existait même pas à l'époque. Les princes avaient une chambre de trésors où étaient mélangées curiosités naturelles, œuvres d'art, objets de piété, orfèvreries prestigieuses. Elle ne dérogeait pas avec les princes de son temps et plus que son goût le riche rassemblement de tableaux et de sculptures à Brou montre ce qu'une femme de son statut se devait de posséder et d'encourager plus qu'un goût personnel.
Gilles Coÿne
Primitifs flamands
Trésors de Marguerite d'Autriche
Jusqu'au 26 août 2018
Monastère royal de Brou
63, boulevard de Brou, 01000 Bourg-en-Bresse
- Tél. : 04 74 22 83 83
-Horaires et tarifs : Horaire, de 9h30 à 18h ; tarif, 9€, gratuité pour les moins de vingt-six ans.
- Publication : De Van Eyck à Van Orley, catalogue de l'exposition Primitifs flamands, trésors de Marguerite d'Autriche, de Van Eyck à Jérôme Bosch. 223p., 24,90€. Et aussi, Jean-Philippe Postel : L'affaire Arnolfini.- 2012, Arles, Actes Sud, 158p., 18€ ; intéressant roman d'investigation sur le célèbre double portrait de Van Eyck conservé à la National Gallery de Londres et qui fit partie des collections de Marguerite d'Autriche. On n'est pas obligé d'adopter toutes les conclusions de l'auteur, mais ses hypothèses sont très intéressantes et renouvellent le regard que l'on peut porter sur ce chef-d'œuvre.
- Autour de l'exposition : conférences, ateliers destinés aux enfants et aux adultes, consulter le site du monastère.