Expositions
Alphonce Mucha (1860 - 1939)
Les affiches d'Alphonse Mucha sont tellement célèbres et leurs reproductions si diffusées que l'on en a presque oublié sinon le patronyme de leur auteur du moins ce que ce dernier était réellement : que sait-on de lui ? Pratiquement rien en dehors de son amitié pour Sarah Bernhardt. Oublions un moment les sempiternelles icônes consacrées à la grande tragédienne et, plus pro-saïquement, au papier à cigarette job, aux champagnes ou aux biscuits Lefevre-Utile, LU, et à tant d'autres produits – images trop vues, trop célèbres, trop charmeuses - et allons au musée du Luxembourg qui, avec une exposition bienvenue, rectifie cette image réductrice. Mucha fut un artiste complet aux convictions sociales et patriotiques affirmées, pacifiste et humaniste qui mit son talent au service de sa patrie la Tchéquie d'aujourd'hui. Cela dit, ne méprisons pas son œuvre graphique : la gloire acquise sur les murs parisiens lui permit de pouvoir mener à bien son grand œuvre : l'illustration de la saga des peuples slaves, entreprise herculéenne qui l'occupa plus de vingt ans pendant les premières décennies du XXe siècle, et qui malheureusement, ne peut être présente ici que sous la forme de dessins préparatoires et d'un montage vidéo forcément fugace (au passage notons que les organisateurs n'ont pas cru bon d'en traduire les sous-titres en français – misère de la francophonie...), images très partielles, très imparfaites de ces ambitieuses compositions.
Alphonse Mucha est né en 1860 dans une petite ville de Moravie. La Tchéquie d'alors faisait partie de l'empire austro-hongrois et le pays peuplé en majorité de Slaves subissait depuis plus de deux siècles une germanisation impitoyable. En ce milieu du XIXe siècle, la population se réveille et affirme son identité culturelle qu'elle soit littéraire, artistique ou musicale : à Prague il y avait deux théâtres nationaux – un tchèque, un allemand -, deux presses etc. Dans cette ambiance fervente va se former le jeune Alphonse. à Vienne il entre dans l'atelier de Hans Mackart le grand décorateur de la capitale ; un client et mécène hongrois – le comte Eduard Kuhen Belasi - finance ses études artistiques à Munich dans un premier temps puis à Paris où il arrive en 1887. Là il vivote en exécutant divers travaux alimentaires : illustrations pour revues et ouvrages, décors de théâtre, costumes, projets etc. Il se lie d'amitié avec Rodin et Gauguin qu'il héberge même dans son atelier au retour des îles tahitiennes.
La chance lui sourit en 1894 quand il exécute, au pied levé, une affiche pour la reprise de la pièce de Victorien Sardou, Gismonda, jouée par Sarah Bernhardt. Ce fut un succès foudroyant. Du jour au lendemain il devient une des figures majeures de la scène artistique parisienne. Il travaille pour la « Divine » à qui il est lié par un contrat de six ans. Les amateurs se pressent, on dit même que certains arrachent les affiches encore humides de colle. Il devient l'un des créateurs de référence de l'art nouveau. Ses femmes fleurs aux longs cheveux flottant, cambrées en des poses suggestives, vont imposer un art où le symbolisme se double d'un érotisme à peine voilé. S'il fait des publicités qui ont marqué cet art alors en pleine expansion, il propose aussi des modèles décoratifs pour des bijoux, des meubles, des papiers peints etc. La boutique du bijoutier Fouquet, depuis partiellement remontée au musée Carnavalet, est un des sommets de ce type de création. En quelques années sa virtuosité incroyable fait de lui une des figures marquantes de l'art nouveau.
Cette œuvre qui nous paraît si aisée, si aimable est le résultat d'un labeur acharné. Mucha engageait des modèles qu'il photographiait dans des poses souvent acrobatiques et que l'on retrouve telles quelles dans la composition finale. Clichés d'études, ce sont les œuvres en soi et l'un des intérêts de l'exposition est d'en montrer un échantillonnage conséquent. Il dessine d'abondance, inlassablement, en vue des compositions finales et dans ce domaine sa virtuosité s'impose.
L'exposition internationale de Paris en 1900 constitue l'acmé de sa carrière : le gouvernement autrichien le charge de décorer le pavillon de la Bosnie-Herzégovine qui par sa simplicité élégante se démarquait des constructions voisines – l'Autrichiennee et la Hongroise - à l'opulente décoration baroque. Il dessine aussi des affiches, des menus pour différents restaurants etc. Pour la pavillon, il entreprend un voyage documentaire sur l'histoire et la civilisation de ce petit pays que l'Autriche vient d'annexer. Grâce à ce chantier il renoue avec sa culture d'origine et se concrétise dans son esprit l'idée de réaliser une série d'œuvres illustrant les grands moments historiques des peuples slaves. Un milliardaire américain slavophile, R. Crane finance le projet qui s'étend sur presque vingt ans. Il est dommage, comme nous l'avons dit plus haut, que nous devions nous contenter d'un montage vidéo et d'études forcément limitées.
Ce vaste ensemble – certaines de ces quelques vingt toiles atteignent plus de 8 mètres de large -, résolument figuratif, réaliste et symbolique à la fois, où l'au-delà côtoie ce bas-monde, dont l'esthétique doit autant à l'art byzantin qu'à la tradition occidentale, forme un cycle couvrant deux millénaires d'histoire ; il a peu d'équivalent. Il fut offert à la toute jeune république tchécoslovaque pour ses dix ans en 1928. On remarquera la soin pris pour les mises en scènes, l'animation des groupes évoluant dans l'espace, tout cela est d'un grand dynamisme ; de même le jeu des personnages qui cabotinent volontiers : rois plus nobles que nature, pures jeunes filles, rudes guerriers, imposants ecclésiastiques... (on ne fréquente pas impunément Sarah Bernhardt !). Mucha a superbement ignoré les révolutions artistiques de son temps et a très tôt fait figure d'homme du passé lui qui fut l'ami de Gauguin et de Rodin. On sera plus sensible à l'entreprise psychologique et morale d'un honnête homme qui croyait sincèrement à la perfectibilité de l'humanité par l'art et qui fut cruellement détrompé : il vit l'envahissement de son pays par l'Allemagne nazie, et mourut au lendemain d'une convocation par la Gestapo.
Aujourd'hui, le Nărodny Veletržni palăc à Prague, vaste bâtiment moderniste construit dans les années trente, abrite les collections d'art moderne et contemporain de la République tchèque. Une section à part expose la série des vingt tableaux dans une obscurité quasi religieuse. Les foules admiratives, tous âges confondus, viennent ici contempler ces grandes compositions qui parlent de leur passé. C'est le plus bel hommage que l'on puisse rendre à Mucha le si frivole illustrateur du Paris de la Belle époque.
Gilles Coÿne
- Médée, 1898, lithographie en couleur, Prague, Fondation Mucha © Mucha Trust 2018
- Papier à cigarette "Job", lithographie en couleur, Prague, Prague, Fondation Mucha © Mucha Trust 2018
- Etude pour l'affiche du 6e festival de Sokol 1911, Aquarelle, encre, gouache sur papier, Prague, Fondation Mucha, © Mucha Trust 2018
- Etude pour l'épopée slave (Cycle n°6), Couronnement du Tsar serbe Stepan Dusan comme empereur romain d'Orient, style, encre et aquarelle sur papier, Prague, Fondation Mucha, © Mucha Trust 2018
Alphonse Mucha
12 septembre 2018 – 27 janvier 2019
Musée du Luxembourg
19 rue de Vaugirard, 75006 Paris
Tél. : 01 40 13 62 00
Site internet : https://museeduluxembourg.fret expositions/alphonde-mucha
Horaires et tarifs : tous les jours du lundi au dimanche de 10h30 à 19h, nocturne jusqu'à 22h tous les vendredi et les lundis du 12 novembre au 17 décembre, les 24 et 31 décembre de 10h30 à 18h, fermeture le 25 décembre. Tarifs 13€ et 9€, gratuit pour les moins de 16 ans et les bénéficiaires des minima sociaux.
Publications : catalogue de l'exposition, 248p., 250 ill., 35€ ; Journal de l'exposition par Alain Weill, 24p., 40 illustrations, 6€ ; carnet de cartes postales, 112p., 32 cartes postales, 14,90€.
Animation culturelle : conférences, ciné-club, soirées spéciales, visites guidées et atelier, consulter le site du musée