Expositions

 

 

 

Le modèle noir de Géricault à Matisse

 

 

 

 

Dans l'art du moyen-âge comme dans celui de la Renaissance ou des temps classiques les images de Noirs abondent – que l'on pense aux innombrables adorations des mages dont l'un au moins se devait d'être un Noir sensé témoigner de l'universalisme du message christique. Plus tard certaines belles dont la séduction tenait à la blancheur de leur peau aimaient se faire portraiturer en compagnie d'un jeune page noir son teint sombre rehaussant leur pâleur. À la fin du XVIIIe siècle l'image du Noir change, il accède peu à peu à l'individualité et c'est à cet avatar que le musée d'Orsay consacre une magnifique exposition qui se veut aussi réparatrice des préjugés et injustices dont souffraient et souffrent encore nos frères colorés. Un panorama de plus de deux cents documents, peintures, dessins, gravures, sculptures, caricatures et d'objets divers décrit les modifications de leur image de la Révolution à nos jours, panorama qui se double d'une réflexion sur le regard que la société française a porté sur l'autre pendant plus de deux siècles.

 

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La superbe toile de Marie Guillemine Benoist (1768 - 1826), une des plus talentueuses peintres d'une époque qui vit l'émergence des talents féminins – Mme Vigée Lebrun n'étant que la plus connue – domine la section introductrice de l'exposition. Le Portrait de Madeleine(1800), sa domestique noire, assise, retenant un linge dévoilant la gorge, élégamment enturbannée d'un châle blanc, se détachant d'un fond neutre, dévisage le visiteur. La noblesse du personnage, sa calme humanité, sa beauté classique font que cetteœuvre ne s'oublie pas. Mme Benoist lui dut sa notoriété posthume et l'on peut dire sans exagérer qu'aujourd'hui elle est l'auteur d'un seul tableau.

 

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Si Madeleine était libre, parce que vivant en France, elle était née esclave : La traite et l'esclavage sont l'une des grandes questions sociétales en cette première moitié du XIXe siècle. Écrivains, artistes, politiques libéraux militent pour l'abolition que la seconde République avait osé proclamer mais que Napoléon avait supprimée. Théodore Géricault, après un bref épisode légitimiste – Il suivra Louis XVIII dans son exil à Gand pendant les cent jours – s'oppose rapidement au régime étriqué et réactionnaire de la Restauration, il projète un tableau sur le sujet qu'il ne réalisera pas, il en reste une série de magnifiques dessins et esquisses énergiques et puissantes. Pour sa grande œuvre,l'immense machine aujourd'hui au Louvre où il stigmatise l'impéritie de la nouvelle administration des Bourbons, Le Radeau de la Méduse, il décide de sommer la pyramide des survivants soulevés à la vue, loin, très loin, de la voile salvatrice, par un Noir musculeux, figure d'espoir – le modèle Joseph posa également pour Chassériau. Ce dernier exécute un étonnant tableau où le sujet pose en apesanteur : il s'agit de représenter Satan, à la demande d'Ingres, désireux de peindre une Tentation du Christ. Satan ? Un Noir ? La malédiction biblique de Cham a encore frappé, le racisme est bien là, sans doute inconscient dans cet exemple, mais qui s'étale sans complexe dans les petits journaux amusants et les quelques lithographies de Daumier montrent que ce dernier a été mieux inspiré ailleurs. Racisme aussi de ces nombreux peintres sensibles à la troublante sensualité des Noires supposées plus libérées que leurs consœurs blanches : la magnifique figure de l'Afrique modelée par Carpeaux pour la fontaine de l'Observatoire à Paris transcende le cliché que l'on retrouve dans l'Olympia de Manet. En fin de parcours, l'artiste Aimé Mpane du Kinshasa retournera le poncif en inversant les valeurs, la Blanche offrant le bouquet de fleurs à la Noire, bouquet où se niche un crâne symbole de la mort qu'inflige l'Occident à l'Afrique...

 

Noir3Paradoxalement en ce début du XIXe siècle quelques talents métis émergent et occupent une place prépondérante sur la scène culturelle parisienne. Le peintre Guillaume Guillon-Lethière fils d'une esclave affranchie et d'un fonctionnaire royal M. Guillon, eut une carrière remarquable puisqu'il fut même, par deux fois, nommé directeur de l'Académie de France à Rome, ici son portrait et une esquisse d'un grand tableau, Saint Louis visitant et touchant un pestiféré dans les plaines de Carthageconservé à Bordeaux, présente l'auteur plus connu pour une immense composition, sans doute intransportable, Brutus condamnant ses filsque le public ne voit guère, accrochée qu'elle est au Louvre à plus de quatre mètres de hauteur dans une salle qui sert plus de passage que de lieu d'exposition. Les Dumas père et fils petit-fils et arrière-petit-fils d'une esclave et d'un Blanc ont occupé l'espace culturel parisien avec plus d'éclat encore ; qui ne les connaît encore aujourd'hui ?

 

Évidemment ces parcours atypiques ne sauraient représenter les Noirs en ce Paris du XIXe siècles : domestiques, nourrices, actrices, prostituées, acrobates, dompteurs, cantatrices, acteurs à succès, ils deviennent de plus en plus nombreux. L'école des beaux-Arts engage des modèles, les cafés-concerts des danseuses et des chanteuses, et les peintres des modèles, les maisons-closes d'un certain standing se devaient d'avoir une pensionnaire colorée... Il semblerait que le monde du divertissement, surtout celui du Music-hall, ait été particulièrement friand d'exotisme pour le meilleur comme pour le pire. Citons en vrac : l'Américain Ira Aldridge qui fera frémir tout Paris avec son interprétation d'Othello, le clown Chocolat avec son complice Foottit inspireront Toulouse-Lautrec, l'acrobate Miss Lala au cirquesera peinte par Degas et enfin la revue des Folies-Bergères avec Joséphine Baker et son partenaire le sculptural Feral Benga devient un véritable fait de société et marque un véritable retournement du goût.

 

 

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Peut-on citer, dans le désordre, en guise de conclusion quelques œuvres? Les superbes bustes polychromes que sculpté Charles Cordier pour napoléon III : L'Hommes du Soudanen bronze argenté et oxydé et en albâtre, d'une présence et d'une noblesse impressionnantes ; la pleine d'humour « Moderne Olympia » de Paul Cezanne faite de touches éclatantes et vibrionnantes ; Le « Jack Johson » dit aussi « The Morning Walking » de Van Dongen, nu, chapeau claque à la main, au milieu de fleurs est un magnifique pied-de-nez à tous les racismes...

Gilles Coÿne

 

 

 

 

- Marie-Guillemine Benoist 1768-1826, Portrait de Madeleine, 1800, huile sur toile, Paris, © musée du Louvre, photo de l'auteur.

- Théodore Chassérieu (1819-1856), Etude d'après le modèle Joseph, 1838, huile dur toile, © Montauban, musée Ingres, photo de l'auteur.

- Charles Cordier, (1827-1905), Homme du Soudan français, albâtre, bronze argenté et oxydé. © Paris, musée d'Orsay, Photo de l'auteur.

- Edouard Manet (1832-1883). Jeanne Duval, maîtresse de Maudelaire, huile sur toile, © Budapest, musée des Beaus-Arts. Photo de l'auteur.

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Modèle noir de Géricault à Matisse

Jusqu'au 26 juillet 2019

Musée d'Orsay, grand espace d'expoxsition

1, rue de la légion d'honneur

75007 Paris

Tél. : 01 40 49 48 14

www.musee-orsay.fr

- Horaires et tarifs : Tous les jours sauf le lundi de 9h30 à 18h, nocturne jusqu'à 21h45 le jeudi. 14€ et 11€, consulter le site pour connaître les bénéficiaires du tarif réduit et de la gratuité, gratuité pour tous le premier dimanche du mois.

- Publications : Catalogue de l'expositionsous la direction des commissaires de l'exposition, coédition musée d'Orsay / Flammarion, 284p., 274 ill., 45€. ; Marie Ndiaye : Un pas de chat sauvage.- Musée d'Orsay / Flammarion, 48p., 12€ ; Abd Al Malik : Le jeune Noir à l'épée. Récit littéraire et album musical, Présence africaine / musée d'Orsay / Flammarion, 160 p., 44 ill., 24,90€

- Animation culturelle : cinéma, conférences, concerts, visites guidées, ateliers, consulter le site du musée.