Expositions
Disques et sémaphores
Le langage du signal chez Léger et ses contemporains
Le musée Fernand Léger de Biot consacre une exposition avec une soixantaine de documents – peintures, sculptures, dessins, photos, publications – qui illustre un moment de la production du maître des lieux et de ses contemporains, moment où, dans les années 20 et 30 du XXe siècle, ils s'approprient les thèmes et le langage plastique de la vie industrielle.
Fernand Léger, au cours de la première guerre mondiale où il se frotte au prolétariat, s'éloigne des séductions intellectuelles d'un Cubisme intransigeant et fait un retour à une Figuration synthétique, plus compréhensible pour le commun du peuple. « Je sortais de mon travail dans l'atelier, de mes recherches abstraites et je tombais parmi ces hommes pour qui la question de vie et de mort ne se posait plus, qui vivaient en sursis depuis le premier jour du conflit. » confiait-il à son biographe Pierre Descargues. « Mes nouveaux camarades étaient des mineurs, des terrassiers, des artisans du bois et du fer... » C'est ce monde rude, dur, chaleureux et simple qu'il veut représenter, non de façon réaliste, mais en le magnifiant en formes pures et en couleurs éclatantes. Pour ce faire, il va chercher inspiration et matériaux dans le monde industriel et technique : la signalétique – celle des chemins de fer surtout -, les machines et leurs rouages, les usines avec la répétition monotone des « scheds », les premières architectures cubiques, tous ces éléments et bien d'autres composent un répertoire d'images dont il va s'inspirer : « Pour moi, c'est matière première. » Les tableaux qu'il élabore exaltent, dans une optique résolument optimiste, le travail et les travailleurs, la puissance de l'économie industrielle et sa vertu libératrice.
La ville, 1919, du musée d'art moderne de New York, est une superbe composition où les verticales l'emportent sur les horizontales – New York et les villes américaines, avec leurs gigantesques gratte-ciel sont les modèles de la ville contemporaine. Les éléments, dans lesquels on reconnaît, comme des signes, un escalier que descendent deux silhouettes, un portrait, des fragments de charpentes en fer, des disques – colorés ou non -, des lettres faites au pochoir – comme on les pose sur les sacs de produits ou les barils -, se combinent de façon subtile avec des surfaces planes ou courbes et quelques obliques. Les rouges éclatent, qu'un vert clair fait chanter, mais le noir et le blanc dominent qui structurent la toile. Le thème est aisément lisible, sans que l'on puisse reconnaître une ville encore moins un site précis.
Léger s'il fait oeuvre de pionnier, n'est pas isolé. A Paris, mais aussi en Allemagne et en Europe centrale une série d'artistes travaillent sur le thème de la modernité industrielle. La photographie atteint le statut d'art populaire majeur, tout comme le cinéma : les photos de Raoul Hausmann prises en gare de Limoges reprennent certains thèmes qui ont inspiré Léger ; celle d'Ergy Landau saisissant la résille de rails de la gare Saint-Lazare frappe par sa simplicité élégante ; quant à Man Ray son gros plan de la Locomotive Nord dit bien la fascination de cette génération pour les monstres de fer et d'acier qui sillonnaient l'Europe d'alors.
Dans le domaine de la peinture, on remarquera aussi le synthétique Homme du rail de Marcel-Louis Baugnet 1923, séduisante toile toute en angles d'un maître peu connu, aux couleurs sobres, bleu vert, brun, noir, blanc. On notera comment le paysage ferroviaire est seulement évoqué par quelques signaux.
Ces noces de la technique et de l'art trouveront leur apogée avec les pavillons de l'exposition universelle de Paris en 1937. Photo et études rappèlent ce grand moment de l'art monumental français.
L'époque est à un universalisme humaniste qui a comme revers la montée des fascismes. à l'instar de l'espéranto, cette langue artificielle qui doit remplacer la Babel des idiomes (du moins on le souhaite), certains artistes travaillent à un langage de signes et d'images qui aurait valeur universelle. Les planches d'Isotypes d'Ernst Arntz posent les bases de cet art et passionneront Grands et Petits : point n'est besoin de dictionnaire pour connaître la signification de ces dessins. Le peintre Augustin Tschinkel utilisera ces petites silhouettes (qui ne sont pas sans rappeler celles de l'actuel jeu de Légo) pour un tableau étonnamment statique pour le sujet : La Grève (1935).
Gilles Coyne
Fernand Léger, La Ville, 1919, New York, the Museum of Modern Art © 2010 Digital image, MOMA New York/Scala, Florence © Adagp, Paris 2010
Fernand Léger, Projet d'affiche pour l'Inhumaine, film de Marcel L'Herbier, Biot musée national Fernand Léger © service presse rmn / Gérard Blot © Adagp, Paris 2010
Disque et sémaphores
Le langage du signal chez Léger et ses contemporains
20 juin – 11 octobre 2010
Musée national Fernand Léger
Chemin du val de Pome
06410 Biot
Tél. : 04 92 91 50 30
Internet : www.rmn.fr
Publication : Catalogue, Paris, 2010, rmn, 152 p., 123 ill. Couleurs. 45€