Expositions

 

 

D'or et de feu

 

L'art en Slovaquie à la fin du moyen âge

 

 

La Slovaquie est pour beaucoup de Français une « terra incognita », aussi faut-il saluer l'initiative du musée de Cluny, musée national du Moyen Âge, qui propose une exposition sur l'art de ce pays à un moment faste de son histoire : la fin du moyen âge et les débuts de la Renaissance.

relief de la nativit dit de hlohovecLa Slovaquie faisait alors partie du royaume de Hongrie et Bratislava en devint même la capitale en 1536 lorsque les Turcs déferlèrent sur le pays et finirent par s'emparer de Buda en 1541. Cette fin du XVe siècle-début du XVIe est aussi et surtout une période d'expansion économique grâce à l'essor de l'industrie minière - l'argent et l'or. Le pays qui était déjà un carrefour commercial très important dans l'Europe Orientale médiévale s'enrichit et, dans les villes, le mécénat d'une bourgeoisie industrielle et commerçante concurrence celui des élites ecclésiastiques et nobles.

Églises, couvents, cathédrales s'ornent de riches retables sculptés et peints, d'orfèvreries somptueuses ; dans les bibliothèques s'entassent les manuscrits raffinés. Le frigidarium des anciens thermes de Lutèce, restauré, nettoyé offre un cadre grandiose à la cinquantaine de pièces qui est proposé au visiteur. Ce vaste espace aéré, lumineux permet le déploiement des oeuvres, il ajoute encore au plaisir de la découverte.

Esthétiquement la Slovaquie est une province de l'art germanique : au carrefour de Vienne, distante de 60 km à peine, de Cracovie (brillante capitale des Jagellons) et de Prague, les productions du pays s'enrichissent d'influences multiples et parfois contradictoires.

Dès l'entrée, les sculptures en bois polychromes frappent le visiteur par leur état de conservation remarquable et leur présence extraordinaire : ces oeuvres, malgré les aléas dus à la Réforme et à une histoire passablement chahutée, demeurent souvent encore aujourd'hui dans les bâtiments pour lesquels elles ont été exécutées et de ce fait sont dans un état remarquable.

vierge dannociation maria annunziata dtailLe relief de la Nativité (1480-1490) en provenance de la cathédrale de Bratislava s'impose par ses dimensions monumentales (2m06, sur 1m18). Le groupe de la Vierge, de l'enfant, des quatre anges et de saint Joseph s'inscrit dans un triangle et occupe un peu plus de la moitié de la surface. La mère, les mains jointes, légèrement déhanchée, contemple son enfant étendu nu sur un pan de son manteau. Le mouvement est donné par les plis profonds des drapés assez arbitraires disposés en ondes horizontales et verticales. On notera aussi la vêture somptueuse des personnages : robes de soies brochées aux tons riches, manteaux tissés d'or ; l'élégance de leur maintien ; leur anatomie racée : les mains fines et allongée, l'ovale pur du visage de la Vierge, les traits énergiques de Joseph... L'artiste n'a pas cherché à représenter un simple charpentier et sa femme qui vient d'accoucher dans une étable mais les protagonistes d'une geste divine pour lesquels il s'est inspiré de modèles aristocratiques.

La perspective est assez désinvolte : l'enfant est représenté en à-plat devant le spectateur tandis que le groupe des parents s'élève perpendiculaire. Dans le fond, les actions secondaires – l'arrivée de la sage femme, l'annonce aux bergers, leurs troupeaux – s'étagent sans grande logique mais de façon claire : le spectateur doit pouvoir lire sans confusion. Qu'importe si l'on passe pour ce faire d'une vision à vol d'oiseau à une vision plus conventionnelle.

La même élégance racée, la même richesse se retrouvent dans la Vierge de l'Annonciation : une aristocrate surprise dans son oratoire privé au moment où elle lit quelque pieux écrit. Remarquer le dynamisme du drapé en S qui entoure son visage.

adoration des mages panneau peint du retable de ste catherine de banska stiavnic_2Le Crucifix de Kazmarok dû au meilleur sculpteur de l'époque le Maître Paul de Levoca, douloureux, mais résigné semble dire « Tout est accompli », à l'inverse de l'expressionniste Christ en croix peint par Grünewald pour le retable d'Isenheim. Seul mouvement, celui du linge doré qui lui ceint le bassin et se froisse comme agité par des vents contraires.

Parmi les éléments de retables peints (voir Un regard, une image) se détache l'Adoration des mages de Banska Stiavnica du maître MS (Martin Schwarz?) qui travailla à Cracovie. L'opulence des personnages, leur gestuelle un peu maniérée se développe dans le cadre haut et étroit du volet de retable. Notons la perspective impeccable de la place urbaine à l'arrière-plan et qui s'oppose à l'archaïsme du ciel d'or.

Les riches pièces d'orfèvrerie – le pays produisait l'or et l'argent - surprendront. La monstrance de Spiska Novà Ves étonne par ses dimensions (117 cm) et surtout par son architecture aérienne. On notera le curieux motif de pinacles qui s'incurvent pour s'entrelacer en une légère couronne au sommet : il n'est pas sans rappeler les lourds chefs d'épines qui blessent le Christ du maître Paul de Levoca.

Gilles Coÿne

 

 

 

 

1 – Relief de la Nativité dit Hlohovec, vers 1480-90 ; Bratislava, Slovenska narodna Galeria © Galerie nationale slovaque.

 

2 – Vierge de l'Annonciation, vers 1480-90 (détail); Bratislava, Slovenska narodna Galeria © Galerie nationale slovaque.

 

3 – Adoration des Mages, retable de Banska Stavianica (détail central), maître MS, vers 1506. Lille musée des Beaux-Arts © RMN/Jacques Quecq d'Henripret

 

 

 

 

D'or et de feu

L'art en Slovaquie à la fin du Moyen Âge

16 septembre 2010 – 10 janvier 2011

Musée de Cluny, musée national du Moyen Âge

6, place Paul Painlevé, 75005 Paris

Tous les jours sauf le mardi de 9h15 à 17h45

Tél. : 01 53 73 78 00 ou 01 53 73 78 16 (accueil)

Internet : www.musee-moyenage.fr

Publication : Catalogue. - Paris, 2010, éditions RMN, 112 p., 100 ill., 28€

Une série de manifestations culturelles, conférences, concerts, projections de film est organiée autour de l'exposition. Renseignement auprès du musée et sur le site du musée.