Expositions
L'Âge roman
Le musée Saint-Croix de Poitiers, vient de réaménager la section romane de son département d'art médiéval et à cette occasion présente une exposition sur L'histoire de cette collection qui en explique l'origine et le développement tout en apportant quelques précisions pour en faciliter la lecture ; entre autres par exemple sur les mines d'argent de Melle – un centre monétaire important pour le haut moyen-âge dont plusieurs monnaies sont exposées ici.
Le comté de Poitiers et l'Aquitaine sont une des terres romanes les plus riches et les plus originales de France : cathédrales, abbatiales, églises fourmillent dans cette région où les formules de l'art roman, véritable art national, perdureront bien plus tard qu'ailleurs jusqu'au XIVe siècle, voire au XVIIe. La grande originalité de cette école réside, entre autres, dans les façades d'églises décorées avec beaucoup d'exubérance comme en témoigne la célèbrissime et toute proche Notre Dame la grande : véritable livre ouvert à une population massivement analphabète. Un art baroque avant la lettre où l'artiste joue avec virtuosité sur les creux et les reliefs, l'ombre et la lumière.
On peut regretter la disparition des édifices auxquels ont été arrachés les sculptures qui peuplent le musée. Mais l'amateur appréciera de pourvoir contempler ici et analyser tout à loisir des oeuvres qui sont placées généralement très loin de son regard quand elles ne se perdent pas dans l'obscurité d'un recoin mal éclairé. De plus la variété des époques et des styles qui voisinent ainsi dans un espace restreint permet les comparaisons comme les rapprochements judicieux. Mais plus que tout, le charme d'un art robuste et sophistiqué le séduira.
L'Aquitaine fut une province romaine opulente et Poitiers conserve dans le maillage de ses rues le souvenir de la ville antique qu'elle fut. Quelques pièces rappèlent particulièrement cette tradition : les « métopes » très brutalistes de l'abbaye de Saint-Cyprien, ou encore les hauts-reliefs qui évoquent les stèles funéraires gallo-romaines : le Saint Saturnin de Saint-Maixent, le Saint Hilaire bénissant sainte Triaise de l'église éponyme de Poitiers ; peut-on voir dans ces arcatures décoratives faites de claveaux décorés de riches feuillages ou d'animaux fantastiques, typiques de l'Ouest, comme un lointain écho de l'art opulent du Bas-Empire? S'il ne faut chercher ici ni le purisme de la Provence, pas plus que l'élégance du Languedoc, on ne saurait sous-estimer la permanence d'une tradition encore vivace.
Bien connue des critiques de l'art roman, et depuis longtemps, l'influence d'un Orient qui fascinait les gens de l'époque par son raffinement est illustrée ici de façon magistrale : les superbes tympans de l'abbaye de Nanteuil-en-Vallée où des animaux fantastiques se détachent quasiment en ronde bosse sur un fond de niches profondes, doivent leur élégance et la vie qui les anime à l'exemple des produits importés de la Méditerranée orientale : tissus? Bijoux? Ivoires? Qu'importe le médium par lequel ces formes sont arrivées ici, l'esprit en est là... Un souffle identique anime les chapiteaux à rinceaux du cloître de la même abbaye. Les tiges inspirées du monde végétal s'entrelacent et emprisonnent des animaux ; les formes se marient, se superposent, s'opposent pour former d'opulentes arabesques richement travaillées ; les creux profonds, la rondeur des volumes créent un contraste de lumière et d'ombre venu d'autres cieux.
La grande originalité des temps romans réside dans l'invention et le développement des chapiteaux historiés qui ornaient édifices religieux comme laïcs. Ils sont l'ultime avatar du chapiteau corinthien inventé par les Grecs et diffusé tout autour de la Méditerranée par les Romains. Le feuillage de la corbeille se stylise au cours du haut moyen-âge pour pratiquement disparaître ; il survit sous la forme d'un rinceau qui marque la crosse du chapiteau, crosse renforcée souvent par une tête d'animal ou d'humain : voir les expressifs chapiteaux à personnage ou à lions affrontés issus de la collégiale Saint-Hilaire-le-Grand. Mais l'exemple le plus saisissant reste le chapiteau « de la Dispute » qui ornait vraisemblablement un des piliers de justice du bourg de Saint-Hilaire-le-Grand à Poitiers. Un des chefs-d'oeuvre de l'époque. Deux personnages masculins se tiennent par la barbe – on remarquera leur coiffure à la mode du temps : crâne rasé, laissant une seule mèche ; ce ne sont ni des serfs ni des artisans -, ils s'affrontent en brandissant une hache. Deux femmes (leurs épouses?) tentent en vain de les retenir. Sur le côté de droite, un homme taille un arbre (objet du litige?), sur l'autre deux hommes estropiés s'étreignent en signe de réconciliation. S'agit-il de la narration d'une seule histoire? De trois scènes autonomes? On a voulu voir dans cette histoire en trois volets un avertissement, une admonestation des autorités ecclésiastiques montrant les dangers de se faire justice soi-même. On a même évoqué la Paix de Dieu que l'église cherchait à imposer pour limiter l'usage de la guerre privée qui ravageait alors l'Occident... Il semble illustrer l'adage biblique : « Celui qui utilisera la violence périra par la violence » (citation libre).
On remarquera la disproportion des personnages : les têtes énormes, les corps trapus, les membres courts, l'arbitraire des drapés. Tout est fait pour que le sens de la scène soit clair et puisse se lire au premier coup d'oeil. Tout est subordonné à l'efficacité. Aujourd'hui on sera plus sensible à la dynamique de la composition qui s'organise autour du X formé par les bras des protagonistes qu'au détail d'une réalisation schématique bien que soignée.
Les églises romanes nous séduisent aujourd'hui par leur sobriété et leur pureté. À l'époque, il n'en était rien, elles chatoyaient de mille couleurs. Ces chapiteaux, ces statues dont nous admirons la blancheur, étaient polychromes pour ne pas parler du décor peint sur les murs et les voutes : Poitiers n'est qu'à quelques dizaines de kilomètres de Saint-Savin sur Gartempe, le plus grand et le plus merveilleux ensemble pictural de France, pour l'époque. Il y a ici quelques fragments de fresques détachés et, surtout, quelques objets liturgiques colorés et raffinés : le Vase-reliquaire en verre soufflé bleu à décor de filaments blanc est un objet extraordinaire. Il date du XIe siècle et semble sortir de l'atelier du verrier. Il est unique. Objet de luxe destiné à quelque table princière, il fut transformé en reliquaire. On admirera aussi les émaux de Limoges aux couleurs profondes : reliquaires, crosses d'abbé ou d'évêque, plaques décoratives...
Que l'on imagine pas cette exposition comme un ensemble exhaustif dont la richesse risque de lasser l'attention du visiteur. Bien au contraire, il n'y a ici que des pièces soigneusement choisies, bien éclairées, mises à la portée du regard qui séduiront le spécialiste comme le profane.
Gilles Coyne
Détail d'un chapiteau de Saint-Hilaire-le-Grand, Poitiers XIe siècle
Dalle, saint Hilaire bénissant sainte Triaise, Poitiers, XIe siècle
Chapiteau dit de La Dispute, quartier de Saint-Hilaire, Poitiers, XIe siècle
Vase-reliquaire, verre soufflé à décor rapporté blanc opaque, XIe siècle
L'âge Roman
Au temps des comtes-ducs d'Aquitaine
16 septembre 2011 – 16 janvier 2012
Musée Sainte-Croix,
3 bis, rue Jean-Jaurès, 86000 Poitiers
- Tél. : 05 49 41 07 53
- Internet : www.musees-poitiers.org
- Mail : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
- Horaires : du 1r juin au 30 septembre, du mardi au vendredi 10h-12h / 13h15-18h, nocturne le mardi jusqu'à 20h en juillet et août ; samedi et dimanche, 10h-12h / 14h-18h. Du 1r octobre au 31 mai même horaires, le mardi journée continue de 10h à 17h
- Tarifs : 4€, 2€ le dimanche ; gratuit pour les jeunes de moins de 17 ans et pour de nombreux autres bénéficiaires, téléphoner au musée ou consulter le site.
- animations : visites commentées, conférences, films, animation pour les plus petits, renseignements au musée ou sur le site.
- Publications : Pascale Brudy et Anne Benéteau Péan dir. « L'Âge roman. Arts et culture en Poitou et dans les pays charentais – Xe – XIIe siècles. », Montreuil, 2011, Gourcuff Gradenigo, 335 p., 30€ ; « Viens je t'emmène au Moyen Âge », livret de jeux et d'activités à partir de 8 ans. Gratuit.